1 octobre 2024
Polifemo, l’opéra baroque version péplum à Lille

Présentée à l’Opéra national du Rhin en février, la première scénique française de Polifemo de Porpora donne toute sa mesure pour sa reprise en ouverture de la dernière saison de Caroline Sonrier à l’Opéra de Lille. Dans un décor d’Annemarie Woods qui parodie les péplum de Cinecittà, jusque dans l’affiche du spectacle en guise de rideau au début et entre les actes, la production de Bruno Ravella dédouble habilement les aventures des héros, géants et bergers de l’Antiquité avec les intrigues d’un plateau de tournage. Le producteur Polyphème veut user de son pouvoir, sinon de son droit de cuissage sur Galathée, jeune assistante qui tombe sous le charme d’Acis, un peintre des ateliers de décor. Quand l’acteur Ulysse, coqueluche du moment, arrive en perfecto sur le plateau, il y retrouve Calypso, une autre vedette névrosée sous ses lunettes noires et ses tenues légères, avec laquelle il entretient une relation mouvementée. Ici, la lutte des classes se fait sous l’espèce du divertissement. La reprise par John Wilkie n’a pas émoussé la mise en valeur de l’humour dans les situations tragico-comiques de l’opéra, qui ne se résument pas aux figurants tout en muscles recrutés pour incarner les compagnons d’Ulysse. Sous les lumières de D. M. Wood, les clins d’oeils aux effets et aux stéréotypes de jeu du cinéma des années soixante, à l’exemple des marionnettes miniatures devant le cyclope, semblent au contraire s’épanouir plus librement qu’à Strasbourg, avec des solistes engagés sans réserve.

Une grande réussite musicale

Cela est particulièrement sensible dans la présence pleine de vitalité de Kangmin Justin Kim, qui prend le relai de Franco Fagioli dans le rôle d’Acis, et n’hésite pas à esquisser des pirouettes chorégraphiques quand le cœur de son personnage bat la chamade. La virtuosité du contre-ténor coréen fait merveille dans les airs exigeant une vélocité qui défie le souffle, tandis que sa musicalité compense un timbre un peu monochrome et acide, entre autres dans l’iconique Alto Giove, morceau de choix révélé par le film Farinelli – créateur du rôle en 1735 à Londres. L’autre nouvelle tête de la distribution, Marie Lys séduit par son soprano fruité qui résume toute la fraîcheur des sentiments de Galathée, avec un naturel irrésistible. En Ulysse, Paul-Antoine Bénos-Djian se confirme comme l’un des meilleurs contre-ténor de la nouvelle génération, aussi sensible dans les épanchements élégiaques – comme en témoigne son récent Othon dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi – que dans une vaillance héroïque qui ne sacrifie jamais la souplesse et la beauté de l’intonation. Delphine Galou prête à Calypso son contralto homogène. Florie Valiquette confie à Nérée la franchise et la clarté de son soprano. Quant à Polyphème, José Coca Loza en résume avec justesse l’autorité aux limites de l’effroi et de la boufffonerie, dont l’arrestation à la fin ne sera qu’une comédie qui n’altéra pas le final heureux.

A la tête de son ensemble Le Concert d’Astrée, fondé à Lille en 2000 et en résidence à l’Opéra de la métropole nordique depuis 2004, Emmanuelle Haïm exalte toutes les saveurs de la partition de Porpora, avec un allant que l’on sent libéré, sans doute à la fois par l’acoustique de la salle, et la complicité d’un public qui la connaît depuis plus de vingt ans. Emmenée par cette énergie théâtrale, la qualité des pupitres invite le Technicolor dans la fosse, pour le plus grand plaisir des oreilles – et d’un spectacle qui a ressuscité Polifemo, au point d’inciter l’Opéra de Versailles à proposer une autre production pour la fin d’année.

Par Gilles Charlassier

Polifemo, Opéra de Lille, du 8 au 16 octobre 2024

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