Intitulée We Humans, la 18ème Biennale de danse de Venise, programmée par Wayne McGregor qui vient de voir son mandat prolongé de deux ans, propose tout un kaléidoscope d’explorations chorégraphiques autour de ce qui fait notre humanité. A l’heure de l’intelligence artificielle, les ressources virtuelles et numériques constituent un matériau de choix dont s’empare l’artiste pluridisciplinaire Daito Manabe – qui avait, entre autres, signé la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques de Rio en 2016 – pour le spectacle avec lequel Cheng Tsung-Iung célèbre les cinquante ans de sa compagnie taïwanaise du Could Gate Dance Theater. Image d’ouverture qui contient en germe les intentions dramaturgiques de Waves, donné en première européenne au Teatro Malibran, une femme traverse la scène avec une traînée capillaire faite de fils et de faisceaux lumineux. Au gré des diverses combinaisons mêlant solos et ensembles, les mouvements fluides, qui témoignent d’une souplesse virtuose de la part des interprètes, trouvent leur écho dans un magma virtuel qui semble être le négatif de la texture du réel. A travers la plongée dans l’élan du geste se dessine une poétique qui intègre l’univers numérique dans l’expérience sensible.
C’est une autre exploration aux confins de la perception humaine que propose Cristina Caprioli dans The Bench. Répartis dans une allée ombragée près de la viale Garibaldi, à deux pas des Jardins de la Biennale, de jeunes danseurs prennent la posent devant des spectateurs qui se mêlent aux passants. Dans la torpeur estivale, après cette introduction aux allures de générique, les corps se glissent autour de bancs dans des torsions sculpturales, par grappes qui obligent l’auditoire à se rassembler en archipels – poussant dans ses retranchements la singularité du regard devant une scène ouverte qui ne se peut embrasser d’un seul coup. Dans un travail sur la délimitation spatiale et temporelle d’une pièce chorégraphique, The Bench tisse des affinités insoupçonnées avec les objets inanimés : la fixité plastique devient une variante limite du mouvement.
Explorations formelles
Le développement à la marge des formats usuels s’affirme encore dans Naturel order of things, au Teatro alle Tese, à l’Arsenale. La scénographie tamisée conçue avec Guy Nader part d’une homorythmie minimaliste, vaguement sédative, qui s’anime ensuite dans des jetés et des torsions d’une vitalité irrésistible où se lit une dynamique d’écriture semblable à l’improvisation musicale. A rebours de cette pièce qui a besoin de temps pour distiller sa sève, Posguerra de Melisa Zulberti, toujours à l’Arsenale mais dans l’espace voisin du Tese dei Soppalchi, révèle assez rapidement son propos de lutte post-apocalyptique, dans une installation où le spectateur se fait une opinion sur les duplications des reflets métalliques et l’ambiance à la Star Wars bien avant la fin de l’heure que dure la performance. Celle de Trajal Harrel, récipiendaire du Lion d’argent cette année, dans la Sala d’Armi E, a le mérite de l’économie. Sister or he buried the body donne à voir, en gros plan, la prise de possession d’émotions dans le frémissement des mains et des traits du visages. Quant au dispositif vidéo autour des anatomies conçu par Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, dans la Sala d’Armi A, au milieu des espaces d’expositions de la Biennale d’Art, il prend le parti de la crudité biologique. La Biennale 2024 présente ainsi un panorama d’une humanité condensée dans des expressions corporelles et chorégraphiques.
Par Gilles Charlassier
Biennale de danse de Venise 2024, spectacles du 19 au 21 juillet 2024