7 juillet 2024
De l’exclusion culturelle

Combien sont-ils les Français, parmi les dix millions qui ont voté pour le Rassemblement National au second tour des législatives ce dimanche 7 juillet, à se sentir des laissés pour compte? Des oubliés comme cette mère et ses enfants qui découvrent pour la première fois la mer grâce à un billet de train à un euro? Le sable qui glisse sur la peau, les vagues qui chatouillent les pieds; voilà enfin l’occasion de s’éloigner d’un écran et du supermarché qui les exclut de plus en plus tôt dans le mois. Et ce n’est pas la culture qui leur offre un refuge- au contraire. « On a lâché le peuple » s’est exclamé Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil dans Libération.  Billets de cinéma ou de musées à plus de dix euros, la culture est devenue un luxe quand elle n’exclut pas. « Une secte qui rejette les grands textes », se désolait dès 2011 Fabrice Luchini à propos du Festival d’Avignon; avec 13 millions d’euros de subventions ce qui en est fait le festival le mieux doté en France, son actuel directeur Tiago Rodrigues a choisi pour cette édition 2024 de proposer un tiers des spectacles du « in » en espagnol. Ce qui n’a pas semblé déranger le public qui a applaudit longuement dans la Cour d’honneur du Palais des papes, Damon d’Angelica Liddell.

Provocation subventionnée

Il faut dire que le festivalier du « in », à 45 euros le billet, a l’habitude de « performances » qui associent nudité à scatologie comme le versement d’excréments sur le portrait de Jesus en 2011 imaginé par l’italien Roméo Castellucci. Olivier Py n’a pas été en reste tandis que ce jeudi 4 juillet 2024, sur une scène drapée de rouge et ornée de WC, Angelica Liddel a donné tout son sens à l’expression « gueuler comme une vache espagnole » le sexe à l’air pendant près de 45 minutes, après avoir uriné cul nul devant le public. Le pape fut ensuite branlé mais ça on ne l’a pas vu, déjà parti comme d’autres spectateurs, refusant toute forme de masochisme (reprise de ce Dämon, tout en espagnol, durée deux heures sans entracte, au Théatre de l’Odéon, Paris, jusqu’au 6 octobre 2024) . Fort d’études supérieures comme 78% des festivaliers-les ouvriers représentent 2,4% (ils étaient 1% en 1968) du public et les employés, 7%, nous nous imaginions pourtant dans le coeur de cible d’un spectacle interdit au moins de 16 ans-tant pis pour les plus jeunes. De toutes les façons, comme l’a dénoncé la Cour des comptes en mars 2023, seuls la part des festivaliers les plus âgés augmente face au coût des hébergements. Quant aux jeunes localiers, encore faudrait-il qu’ils puissent s’offrir le parking de cette ville fortifiée ou bénéficier de bus de nuit pour rejoindre la banlieue sud ou autres lieux de vie hors du centre ville historique d’Avignon. Avec 25 millions d’euros de retombées financières, selon France 24, pour la ville à l’occasion du Festival « in » et « off », le « ruissellement » devrait être envisageable, non? 

Mise en scène sans risque

D’autant que le Festival d’Avignon constitue avec celui d’Aix en Provence, un quart de budget total du Ministère de la Culture. Deux festivals hyper-subventionnés qui n’empêche pas le Festival Lyrique aixois de faire appel pour un tiers de son budget au mécénat. Espace VIP avec coupe de champagne, places de premier choix à 300€ tristement laissées libres, pas question ici de choquer, à l’image de la très consensuelle-et économique- mise en scène d’Andréa Breth pour Madama Butterfly, en ce centenaire de la mort de Puccini. Une création qui ne marquera pas les annales mais a offert au public de l’Archevêché l’occasion d’entendre l’albanaise Ermonela Jaho dans le rôle titre. Sa voix aux multiples couleurs, accompagnée avec bonheur par l’Orchestre de Lyon dirigé par Daniele Rustoni, a enchanté cette soirée à la belle étoile.« Une nuit étoilée », le chef d’oeuvre de Van Gogh qui appartient au Musée d’Orsay a également fait le voyage dans le Sud, à Arles. C’est autour de cette toile que se décline l’exposition présentée cet été à la Fondation qui porte son nom, et compte à la présidence de son conseil d’administration une certaine Maya Hoffmann. Passé le Rhône et les remparts qui encerclent Arles, nul n’ignore le nom de cette mécène suisse qui suit les traces de Bernard Arnault, à son échelle. Quoique. En 2021, elle a ouvert sa Fondation dont l’architecte est un certain Frank Gehry. Trois ans plus tard, les jardins l’environnant sont terminés, arborant un gazon bien peu écologique et le Parc des Ateliers n’est plus qu’un souvenir pour les visiteurs des Rencontres photographiques d’Arles à l’exception du Magasin général. Finis ces hangars alliant fraîcheur et poésie, pour expérimenter jusqu’à l’ivresse la magie de la photographie. La soif d’art contemporain de la nouvelle propriétaire l’a emporté. 

Des photos pas inoubliables

Alors, il faut emprunter un chemin de terre peu engageant pour se retrouver dans le noir d’un bâtiment rattaché au Monoprix, accueillant les photos des lauréats 2024 de la Fondation Roederer- plutôt décevant. A côté, des clichés montrent une ville-décor où s’entraînent l’armée américaine, avec faux tanks, faux sangs et « faux-arabes ». Le « fake » que l’on retrouve dans l’exposition Le fermier du futur où Bruce Eesly s’est amusé, avec une vingtaine de photos couleurs générées par l’IA, à donner vie au mythe américain des années 60 d’une agriculture flamboyante, quitte à donner à une citrouille la taille d’un éléphant ( ce qui est désormais possible en vrai!). Des expositions dans leur totalité inaccessibles aux handicapés, à l’image de l’installation de Sophie Calle dans les sous-sol de l’Hôtel de ville. Star de l’art contemporain, la plasticienne y propose une installation de clichés peu remarquables tout comme ceux présentés dans les salles du Palais de l’Archevêché, sans autre thématique que celle, fourre-tout, de clichés pris par des photographes japonaises de 1950 à aujourd’hui. 

A l’honneur de l’espace Van Gogh, la photographe américaine Mary Ellen Mark donne à voir-avec une préférence affichée pour le noir et blanc- l’ Amérique des »humbles » observée au gré de ses cinquante années de carrière mais également les mouroirs de Calcutta ou, comme Diane Arbus, les jumeaux. Dans le même lieu, le séisme du 11 mars 2011 qui dévasta la région de Fukushima au Japon se rappelle aux mémoires sous l’objectif de ceux qui en ont été témoins. Un exercice où les Rencontres d’Arles- comptez plus de 30 euros le pass journée- pêchent, plus à l’aise dans le décalé que le témoignage. Dommage, car des pays en guerre à l’instar de l’Ukraine et la bande de Gaza méritent bien d’autres clichés que ceux de corps ensanglantés et de bâtiments en ruine. Mais peut-être ne faut-il pas désespérer Arles dont ce festival est majoritairement financé par la billetterie? L’exposition Viser juste, sous l’oeil inspiré de Hans Silvester, et présentée au récent Musée de Provence a de quoi ravir ceux qui le pensent; il y est question de pétanque.

Par Laetitia Monsacré 

 

 

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