12 octobre 2023
Ouverture de saison rossinienne au Théâtre des Champs Elysées

Après un Jules César foisonnant qui avait parfois laissé perplexe en 2022, Damiano Michieletto revient au Théâtre des Champs Elysées avec une Cerenentola que l’on pourrait qualifier de plus « grand public », tant la mise en scène, créée à Dresde et reprise ici par Elisabetta Acella, privilégie une fluidité narrative non dénuée d’humour – au diapason de la verve de Rossini. La scénographie de Paolo Fantin inscrit le conte de Perrault dans un décor contemporain. Don Magnifico est devenu le propriétaire d’une cantine où Angelina, alias Cendrillon, est employée pour l’entretien, avant que Alidoro, le mendiant déguisé dont l’ombre, pendant l’ouverture, glisse sur un rideau de nuages dessiné par les vidéos de rocafilm, n’emmène la jeune fille dans le loft du Prince, également d’une même blancheur presque clinique, qui trouve sa saveur sous les éclairages d’Alessandro Carletti.  Les costumes conçus par Agostino Cavalca soulignent la vulgarité des deux méchantes sœurs et celle de leur père, lequel endosse une hermine traduisant à merveille son délire mégalomane devant la promesse d’un mariage royal pour l’une de ses filles. Versant pendant la tempête, le carrosse du prince devient une berline allemande défonçant la devanture de la boutique, tandis que lors du rondo final de l’héroïne, ses rivales et la foule qui l’ont jadis méprisée prennent son relais pour les tâches ménagères. Dans ce tressage entre réalisme et onirisme nourri d’ambivalences et développé tout au long du spectacle, qui réserve quelques belles trouvailles comme l’irradiante apparition de Cendrillon dans la fête princière qui affole les flèches de Cupidon, la rancune d’Angelina est reléguée dans ses rêves, après son pardon public au moment d’être couronnée par l’anneau nuptial.

Le chant rossinien nouvelle génération

Dans le rôle-titre, Marina Viotti affirme sa prééminence avec une générosité qui ne se limite pas à la chaleur d’un médium coloré et une plénitude de la ligne mélodique jusque dans la vocalise. Le Don Ramiro de Levy Sekgapane prend de l’assurance au fil du second acte, avec un lyrisme énergique au fait de la légèreté rossinienne, conjuguant jeunesse et éclat noble des accents, en un contraste avec Edward Nelson qui se glisse dans la robustesse plus plébéienne de Dandini, sans sacrifier la netteté du chant. La solidité des moyens se retrouve dans le Don Magnifico de Peter Kalman qui, s’il n’hésite pas à manier l’effet bouffe, ne sacrifie jamais l’intégrité de la partition, ainsi que dans les interventions d’Alexandros Stavrakakis, Alidoro à l’onctueuse aura paternelle. Alice Rossi et Justyna Olow se chamaillent en Clorinda et Tisbe parfaitement complémentaires, dont les timbres peuvent  opportunément suggérer la physionomie. A la tête de l’orchestre et du choeur de son Balthasar Neumann, Thomas Hengelbrock distille son sens de l’expressivité hérité de la pratique du répertoire baroque et classique, jouant de concert avec le pianoforte pour rehausser les pianissimi jusqu’au souffle et faire murmurer certains contre-chants. Dans un spectacle où la chorégraphie des ensembles rappelle un peu le comique de Laura Scozzi chez Laurent Pelly, cette maîtrise force peut-être un peu le naturel mais n’empêche nullement de passer, en fin de compte, en compagnie de gosiers de la génération montante, une agréable soirée rossinienne pur jus.

 

Par Gilles Charlassier

 

La Cerenentola, Théâtre des Champs Elysées, jusqu’au 19 octobre 2023

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