L’Opéra de Rennes referme sa saison avec un classique du répertoire dont la dernière représentation, en juin, est destinée à être projetée, en salles et en plein air, en régions Bretagne et Pays-de-la-Loire, dans le cadre de la quatrième édition d’Opéra sur écrans. Après Le Vaisseau fantôme en 2019, La Chauve-souris en 2021 et Madame Butterfly en 2022, c’est L’Elixir d’amour qui est l’affiche du programme cette année. Si la diffusion en direct se fera le 15 juin prochain depuis le Théâtre Graslin à Nantes, c’est à Rennes, lieu la captation de Madame Butterfly l’an dernier, que la nouvelle production de l’ouvrage de Donizetti est d’abord donnée. Spectacle d’opéra populaire ne rime pas pour autant avec proposition scénique au rabais, et le spectacle de David Lescot l’illustre très bien. L’exploitation agricole dessinée par Alwyne de Dardel, sous les couleurs estivales des lumières réglées par Paul Beaureilles, ne cède pas à la tentation de la mièvrerie pastorale, avec des décors plus proches de la coopérative que de la carte postale.. A la saison du maïs, le labeur est dur et le jugement des uns sur les autres constant, et la pincée gitane apportée à la caractérisation de la communauté rurale renforce le propos du metteur en scène qui a voulu équilibrer la tendresse des sentiments et le poids du regard social. Les costumes conçus par Marianne Delayre s’inscrivent dans cette lecture qui, si elle ne cède pas au naturalisme cinématographique, n’en traduit pas moins, en valeurs théâtrales, des réalités sociologiques. Sans s’appesantir sur celles-ci, le plaisir du divertissement ne détourne pas les yeux des ambivalences du monde.
Deux jolies prises de rôle
Surtout, la scénographie constitue un support efficace aux incarnations des personnages. Si la proposition propose en alternance deux distributions, c’est d’abord pour les prises de rôle de Perrine Madoeuf et Mathias Vidal en couple d’amants contrariés que cet Elixir d’amour retient l’attention. En Adina, la soprano lyonnaise résume une coquetterie mutine pimentée par un timbre frais légèrement acidulé. Sans oublier l’expression lyrique, c’est d’abord celle du caractère qui privilégie la soliste, au diapason de l’approche du ténor provençal, et d’une mise en scène sensible à l’évolution des ressorts affectifs. Plutôt que par la pure séduction, ce Nemorino suscite la tendresse par ses aveuglements juvéniles et amoureux, comme un presque frère des adolescents que l’on peut croiser aujourd’hui. La justesse de son jeu se retrouve dans la franchise d’un belcanto où l’on sent l’héritage d’une longue pratique du Baroque français et, ne s’arrêtant pas à la perfection technique, se veut d’abord sensible. Marc Scoffoni ne recule pas devant la fatuité veule du sergent Belcore, et démontre une égale attention à la clarté de l’articulation. La faconde de Dulcamara revient à un Giorgio Caoduro savoureux dans la défroque de ce bonimenteur ambulant et passablement pique-assiette. Le babil de Marie-Bénédicte Souquet sied à la fraîcheur surette de Giannetta. Préparé par Gildas Pungier, le Choeur de chambre Mélisme(s) entonne sans lourdeur les émotions collectives. Dans la fosse, Chloé Dufresne accompagne la vitalité des pupitres de l’Orchestre national de Bretagne dans une synchronie efficace avec le plateau. Un Elixir d’amour plein de vitamines et de vérités, à déguster en salles, mais aussi en plein air le 15 juin prochain.
Par Gilles Charlassier
L’elixir d’amour, Opéra de Rennes du 5 au 13 mai 2023, à Angers les 26 et 28 mai 2023 et à Nantes du 7 au 15 juin 2023, avec retransmission en régions le 15 juin 2023.