Inauguré le 17 mars 1963, l’actuel bâtiment de l’Opéra de Limoges, qui rassemble un théâtre, un auditorium et une école de musique, est un des fruits de la décentralisation culturelle voulue par Malraux. Cet anniversaire résonne avec une acuité singulière à un moment où les structures en régions, et particulièrement celles dévolues à l’opéra, sont menacées par des tutelles lasses de soutenir un art qu’elle jugent élitiste – le reproche n’est pas nouveau : déjà dans les années cinquante, des volontés technocratiques étaient réticentes à reconstruire le tissu théâtral et musical qui maillait la France avant la guerre. A l’image d’une programmation qui refuse d’opposer création et ouverture au public, Alain Mercier – qui, en une décennie, et avec des moyens bien plus modestes que certaines majors régionales et nationales, a fait de l’Opéra de Limoges, l’une des scènes les plus dynamiques et inventives de France – a choisi de célébrer ces 60 ans avec l’un des plus grands succès du répertoire, Faust de Gounod, revisité par Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, qui, après avoir fondé et dirigé le Centre Chorégraphique National de Nantes, ont créé une compagnie, Sous la peau, et tissé un partenariat avec les centres culturels de Limoges. Un croisement entre exploration artistique et enracinement local que défend l’Opéra de Limoges, lequel avait déjà confié en 2015 Orphée et Eurydice au duo de chorégraphes.
En dédoublant les personnages chantés par un soliste dansant, le spectacle entend amplifier par l’expression des corps les états d’âmes portés par la musique. Ainsi, au lever de rideau, les introspections du docteur Faust sont-elles extériorisées par l’énergie du mime et du geste, qui, pour Méphistophèles, prend une vitalité presque grinçante, tandis que c’est la sentimentalité intérieure de Marguerite qui se révèle dans le corps dansé. Il n’est pas jusqu’à la foule qui n’a quelques avatars chorégraphiés, avec quatre interprètes pour un soldat, une bourgeoise, une matrone, un étudiant et une jeune fille. Cette superposition des langages se révèle à son meilleur dans les grands scènes solistes, comme une caisse de résonance chorégraphique aux émotions de la musique, le systématisme du procédé, attendu dans le ballet, banalisant un peu l’illustration dans les ensembles. Mais le dispositif prend tout son sens dans la scénographie décantée de Fabien Teigné, avec ses quelques éléments mobiles facilitant les changements à vue, propices à une fluidité dans l’enchaînement des scènes renouvelant favorablement l’approche de l’ouvrage de Gounod. Sous les lumières tamisées de Ludovic Pannetier, la patine sentimentale de la partition subit un rafraîchissement bienvenu, dans une appréciable mise en valeur d’une distribution réunissant quelques unes des plus meilleures françaises d’aujourd’hui.
Nouvelle jeunesse pour Faust
Dans le rôle-titre, Julien Dran déploie un lyrisme élégant et un sens du style qui, prenant de l’assurance au fil de la soirée, s’en révèle d’autant plus émouvant. Son incarnation frémissante n’oublie pas quelques accents de vulnérabilité, portés par une musicalité que partage la Marguerite de Gabrielle Philiponet, au timbre plus rond, voire assombri, offrant de belles ressources de coloration expressives qui façonnent avec un instinct certain les évolutions du personnage et compensent une diction parfois un peu moins claire. Celle de Nicolas Cavallier en Méphistiphélès mordant mais jamais alourdi, est fidèle à sa réputation, c’est à dire irréprochable, comme une ligne qui n’a jamais besoin de forcer pour manifester son autorité aussi naturelle que son intelligence de sa maturation. Si Maire-Ange Todorovitch dévoile en Marthe ce qu’il reste de meilleur de son métier éprouvé, la jeune génération est encore à l’honneur avec le Valentin solide et bien chantant d’Anas Seguin et le Siébel homogène, empreint d’un bel élan du cœur, d’Eléonore Pancrazi. L’intervention de Thibault De Damas en Wagner complète un plateau remarquable, que secondent les choeurs préparés par Arlinda Roux Majollari. Dans la fosse, Pavel Baleff, qui avait dirigé en 2019 une admirable Ville morte, sert la vitalité dramatique et la sève mélodique du chef-d’oeuvre de Gounod, qui, comme Faust, retrouve ici une nouvelle jeunesse. A soixante ans, celle de l’Opéra de Limoges est plus que jamais vivante.
Par Gilles Charlassier
Faust, Opéra de Limoges, du 15 au 19 mars 2023 et le 26 mars 2023 à Vichy.