Depuis l’inauguration en 2017 du Centre culturel de la fondation Stavros Niarchos, conçu par Renzo Piano près de la baie de Phalère, à quelques kilomètres du centre d’Athènes, l’Opéra national de Grèce, désormais dans le même complexe que la Bibliothèque nationale, bénéficie enfin de véritables moyens fonciers, avec une grande salle de 1400 sièges, et une autre, plus petite et modulable, de 400 places, pour les formats de chambre ou plus expérimentaux. Avec dix nouvelles productions, dont trois créées sur la scène athénienne, la saison 2022-2023 imaginée par Giorgos Koumendakis, compositeur crétois qui vient d’être renouvelé à la tête de l’institution pour un troisième mandat, se place au niveau des grandes salles internationales. Le spectacle de Falstaff commandé à Stephen Langridge, l’actuel directeur du Festival de Glynderbourne, est l’une des trois nouveautés données en primeur dans la capitale hellène.
Plus de quarante ans après la première production athénienne du dernier opéra de Verdi au Théâtre Olympia, lieu qui a vu les débuts d’une certaine Maria Callas en 1944, le metteur en scène britannique inscrit sa lecture alerte et efficace, sans iconoclasme inutile, dans un décor versatile, dessiné par George Souglides, qui ne manque pas de clins d’oeil, à l’exemple des portraits de la taverne où l’on devine Verdi et Shakespeare, au milieu de quelques têtes couronnées et autres tableaux ou reproductions diverses. Sous les lumières habilement calibrées par Peter Mumford, ce Falstaff rappelle qu’il n’est pas besoin de s’écarter du livret ou des situations attendues pour affirmer une vis comica qui s’appuie sur les ressources de l’adaptation des Joyeuses commères de Windsor de Shakespeare par Boito et un jeu d’acteurs bien mené. Le résultat est aussi plaisant qu’intelligible, sans verser dans la banalité.
Un beau plateau presque cent pour cent grec
Si elle est composés presque exclusivement de solistes grecs – la soprano roumaine qui campe Alice n’éloigne guère de l’Europe balkanique –, la distribution n’a pas à pâlir de la comparaison avec ce que l’on entend en Europe de l’ouest, et rappelle opportunément qu’en ces temps de défis climatiques et énergétiques, il n’est pas inutile de mettre en avant les artistes «locaux ». Dans le rôle-titre, Dimitri Platanias démontre une présence et une gaillardise certaines, qui siéent à un vieil ivrogne salace aveugle sur son magnétisme sur le gent féminine. Robuste et expressif, le baryton offre une solide incarnation. En Ford, Tassis Christoyannis se révèle solide, d’un métal qui résume la suffisance du bourgeois. Son épouse, Alice, est confiée à une Cellia Costea au grain nourri, qui contraste avec la fraîcheur fruitée de Marilena Striftobola, idiomatique pour la fille Nanetta, amoureuse du jeune Fenton auquel Vassilis Kavayas confère le lyrisme clair et juvénile qu’on y attend. Chrysanthi Spitadi fait valoir en Meg un mezzo timbré, tandis qu’Anna Agathonos ne néglige pas les effets de matrone de Mistress Quickly, sans céder pour autant à la caricature. Yannis Kalyvas et Yanni Yannissis forment en Bardolfo et Pistola un duo complémentaire des comparses de Falstaff, quand les interventions du docteur Caïus reviennent à Nicholas Stefanou.
Préparés par Agathangelos Georgakatos, les cheours ne déméritent aucunement, tout comme les pupitres de la fosse placé sous la direction de Pier Giorgio Morandi, soucieuse autant de théâtre que d’intelligence des influences, sinon citations et pastiches, métabolisés dans la partition. Avec ce Falstaff, Athènes confirme sa place sur la carte de l’Europe lyrique, pour autant que l’on puisse avec assez de commodité rejoindre un lieu un peu excentré. Mais le voyage mérite le détour, et il reste encore des occasions d’ici la fin de saison.
Par Gilles Charlassier
Falstaff, Opéra national de Grèce, Athènes, du 26 janvier au 10 février 2023.