Créée à Bergame lors de la dernière édition du Donizetti Festival dans la ville natale du compositeur
italien, la nouvelle coproduction de La Favorite constitue l’un des temps forts de la première saison
d’Emmanuel Hondré à l’Opéra national de Bordeaux. A rebours des coupures souvent pratiquées,
l’ouvrage est présenté dans l’intégralité de la version originale en français, ballet du deuxième acte
compris – plus d’une vingtaine de minutes qui suspendent l’intrigue: au dix-neuvième siècle le
public de l’Opéra attendait ce divertissement, en particulier pour les danseuses, Degas ne dira pas le
contraire.
L’histoire, au dénouement qui sent un peu les artifices et les préventions de l’époque romantique,
plonge dans l’Espagne médiévale, à la cour du roi Alphonse XI, dont la favorite, Léonor de Guzman
sera convoitée par Fernand, un aspirant moine qui s’est mis au service de l’armée royale et a
combattu victorieusement les Maures. De tout ce contexte historique, la mise en scène de Valentina
Carrasco, une des figures de la troupe catalane La Fura dels Baus, qui avait réglé la cérémonie des
Jeux Olympiques de Barcelone et bien connue des amateurs d’opéra depuis plus de deux décennies,
fait abstraction. La scénographie de Peter Van Praet et Carles Berga résume les lieux et les ressorts
du drame avec quelques éléments symboliques. La statue iconique suspendue dans le monastère
rappelle les images de Vierges noires, dans un décor de grilles qui évoque la cellule d’un cloître et
fait écho à l’enfermement du destin de Léonor. Les voiles qui recouvrent l’enceinte de lits
superposés troquent le blanc de la promesse nuptiale pour le noir du deuil à l’issue
tragique. En fond de scène, des ombres de palmiers, dessinées par les lumières de Peter Van Praet,
esquissent à l’occasion une ambiance méridionale nocturne. Avec le concours de Massimiliano
Volpini, le divertissement chorégraphique se fait songe d’Alphonse XI où celui-ci est poursuivi par
ses anciennes maîtresses abandonnées et maintenant vieilles – ce qui laisse entendre que la jeunesse
du roi est bien derrière lui. La rupture de ton avec le reste de l’oeuvre, assumée et cohérente en un
certain sens avec le genre du grand opéra, fait affleurer un comique non dénué de causticité.
Un remarquable plateau vocal
Si le spectacle privilégie l’efficacité, au détriment parfois de l’originalité, il se fait un écrin pour les
voix, qu’il ne contrarie pas avec des exigences acrobatiques pour les solistes. Remplaçant Varduhi
Abrahamyan initialement prévue pour les représentations bordelaises, Annalisa Stroppa reprend le
rôle-titre qu’elle a chanté à Bergame. Au-delà de la diction, honnête quoique ça et là perfectible, le
métal un peu mat du timbre de la mezzo manque sans doute d’un peu de rondeur, sans obérer pour
autant un engagement évident. En Fernand, Pene Pati contraste par un ténor souple et lumineux,
d’une authentique grâce dans le legato, et qui le distingue dans la nouvelle génération. Florian
Sempey impose quant à lui un Alphonse robuste, à la mesure de la carrure du souverain et des
sentiments contradictoires qui l’agitent. L’aplomb de l’émission vocale, puissante et riche, s’appuie
sur une présence sincère et généreuse reconnaissable, et qu’une direction d’acteurs plus précise
rendrait idéale. Vincent Le Texier résume l’autorité inquisitoriale de Balthazar, par-delà le poids des
ans. Sébastien Droy s’acquitte des interventions honorablement de Don Gaspar, et Marie Lombard
de celles d’Inès. Saluons la solidité des choeurs préparés par Salvatore Caputo, ainsi que la vitalité
dramatique de la direction de Paolo Olmi. Une Favorite qui rend justice à la veine française de
Donizetti et que le public bordelais ne boude pas. Avec raison !
Par Gilles Charlassier
La Favorite, Opéra de Bordeaux, du 4 au 12 mars 2023.