Si la rentrée est synonyme de création contemporaine à Paris avec, depuis plus de quarante ans, le Festival d’automne, l’autre rive de l’Atlantique n’est pas en reste pour proposer des expériences musicales alternatives. A rebours des grosses productions du Metropolitan Opera, exigeantes en budget tant pour la scène que pour le public, le City Lyric Opera propose une approche plus accessible lyrique, au cœur de la cité et de la modernité.
Sur un livret autobiographique de Leah Lax, Uncovered de Lori Laitman décrit l’émancipation d’une jeune lesbienne contrainte par sa communauté ultra-orthodoxe hassidique à se marier. En neuf scènes, l’ouvrage traverse quatre décennies depuis le milieu des années soixante-dix, avec, comme tournant, une huitième maternité que l’épouse devra interrompre pour survivre. Accompagné par un quatuor chambriste – clarinette, violon, violoncelle et piano – coordonné par Jackson McKinnon, le plateau vocal est habilement calibré, dans une immédiate proximité avec le public qui contraste avec l’habituelle distance des spectateurs vis-à-vis des interprètes dans les salles d’opéra. S’appuyant sur une scénographie évoluant à vue, sous les lumières de Jessica Wall, Beth Greenberg met en évidence l’oppression de la morale collective, résumée par des ensembles vigoureux. Dans une partition assumant un éclectisme expressif et un syncrétisme lyrique qui ne méprise pas l’efficacité de certaines recettes développées par la comédie musicale, Rachel Policar assume le douloureux parcours initiatique de la jeune héroïne, sous le regard de son avatar mature, Emily Blair, comme un des fils narratifs de cette découverte de soi. Sydney Anderson incarne la tendresse de l’amante, tandis que Chris Carr impose la domination de Levi, l’époux qui, fragilisé par la sécession conjugale de Leah, se détournera d’elle à la suite de la famille religieuse que condensent les interventions du rabbin Miguel Pedroza ou de la mère, confiées à Heather Jones. Dans une veine engagée qui sollicite les sentiments, Uncovered illustre une appréciable tentative de défendre la puissance du genre opératique dans des formats qui renouent avec l’économie du théâtre.
Uncovered, opéra de l’émancipation
Retour le lendemain dans l’épicentre des arts du spectacles de la Grosse Pomme, au Lincoln Center, où le New York Philharmonic a retrouvé sa maison, le David Geffen Hall, avec un auditorium rénové – et rebaptisé pour l’occasion, le Wu Tsai Theater. Les défauts acoustiques de l’Avery Fisher Hall, corrigés lors des précédentes campagnes de rénovation, semblent désormais, pour l’essentiel, des souvenirs historiques, et les débuts du chef Hannu Lintu à la tête de la phalange new-yorkaise témoignent d’une meilleure définition acoustique, laquelle tire également parti du travail de l’actuel directeur musical, Jaap van Sweden, depuis 2018, tant en termes de répertoire que de sonorité, passablement massive sous l’ère Alan Gilbert. La Symphonie pour instruments à vents de Stravinski en ouverture du 16 810 ème concert du New York Philharmonic offre un chatoiement de couleurs et de rythmes souple et aéré qui teinte cet hommage à Debussy par l’inimitable manière du compositeur russe, restituée avec une appréciable lisibilité. Réunissant Sergei Babayan et l’un des talents les plus singuliers de la nouvelle génération, Daniil Trifonov, le Concerto pour deux pianos et percussions de Bartok, révision par l’auteur lui-même, alors qu’il venait d’émigrer aux Etats-Unis, de sa Sonate pour deux pianos et percussions écrite trois ans plus tôt en 1937, déploie une énergie qui, au-delà de la complexité formelle, retient l’oreille, et que les deux solistes ne se font pas faute de mettre en avant. Après l’entracte, Ciel d’hiver de Saariaho, second mouvement du cycle Orion arrangé dix ans après la création en 2003, séduit par l’alchimie évocatrice des timbres et des textures à laquelle on reconnaît la compositrice finlandaise, et qui s’articule ici autour d’un motif de trois notes. La page trouve dans la Symphonie n°7 de Sibelius un prolongement naturel. De cet opus en un seul mouvement, Hannu Lintu fait respirer la modernité décantée, irradiée par la lumière boréale, avec une sobriété jamais austère. Un beau programme en dehors des sentiers battus qui confirme l’évolution favorable du New York Philharmonic.
Par Gilles Charlassier
Uncovered, City Lyric Opera, New York Philharmonic, New York, novembre 2022.