Même s’il incarne à lui tout seul cette phrase, vous ne l’entendrez pas en conclusion de La Grande Librairie, version Augustin Trapenard. C’est en effet devenu une tradition dans l’émission de France 5 dédiée aux livres et à leurs auteurs que de demander à l’un deux de prendre le siège de l’animateur et de conclure. Diffusée en prime time chaque mercredi, ce rendez-vous est devenu comme les mistrals gagnants d’antan, la récompense que l’on attend toute la semaine. Et qui, loin de coller aux dents, vous rend heureux et accessoirement plus intelligent. C’est avec une évidence tendant à la grâce que l’ancien animateur de Canal Plus a remplacé François Busnel, parti vers la réalisation d’un long métrage. De lui, il a repris l’aisance, la complicité et la passion de faire découvrir aux téléspectateurs, les auteurs contemporains incontournables mais également des découvertes, des coups de coeur pour offrir la lumière des caméras à des écrivain(e)s moins connu(e)s. Dans la dernière émission sur « ses voix qui ont osé le cri », on a pu découvrir le livre témoignage de Pauline Hillier, Les Contemplées publié à La Manufacture des livres; un roman autobiographique sur les femmes prisonnières de la terrible prion de la Manouba à Tunis. Y entrent des criminelles mais aussi des femmes mariées sur simple dénonciation de leur mari d’adultère- une peine de cinq ans ou des jeunes filles qui ont triché au bac-trois ans. Avec pour seul objet, durant son incarcération après sa participation à une manifestation, le livre Les Contemplations de Victor Hugo, l’écrivaine a pris des notes dans les marges, dans les pages laissées blanches pour raconter le quotidien de ces femmes coupées du monde libre. Pour gagner leur confiance, elle s’est inventée liseuse des lignes de la main, osant le contact pour recueillir leurs confidences. Le contact via le soin, voilà ce que la pneumologue Iréne Frachon a choisi comme métier avant, de devenir malgré elle, une « lanceuse d’alerte » dans l’affaire du Médiator. En plein procès en Cour d’Appel des Laboratoires Servier qui ont sciemment commercialisé ce « soit disant » coupe faim en faisant des milliers de victimes, elle revient sur le devant de la scène, épaulée par l’illustrateur Franck Duprat, pour une BD, Mediator, un crime chimiquement pur éditée chez Delcourt, avec pour mantra « Défonce les portes ». Elle en a payé le prix, dénigrée par ses confrères et ses illusions perdues sur un monde médical censé sauver les gens, pas les tuer. Face à ces deux femmes, deux hommes, l’avocat Richard Malka qui signe un Traité sur l’intolérance paru chez Grasset et Roberto Saviano, rendu célèbre pour son livre sur la mafia napolitaine, Gomorra, invité pour son dernier livre au titre sans équivoque, Crie le! chez Gallimard. Tous deux vivent sous une constante protection policière pour avoir fait de leurs mots « des armes très puissantes, on s’en rend compte quand on doit en payer le prix ». Dix-huit ans que le journaliste écrivain italien est sous escorte policière, avec le paradoxe d’avoir perdu sa liberté en dénonçant des criminels, alors « non, si c’était à refaire, je ne referai pas » répond-t’il à la question fort pertinente de l’animateur. Il préfère, aujourd’hui, à travers trente portraits, de raconter le cri d’autres hommes et femmes qui ont souvent tout perdu comme Zola, « c’est un ami », pour prendre la défense d’un inconnu ou choisir, au contraire, « un silence bruyant » comme la poétesse russe Anna Akhmatova qui cessa d’écrire sous le régime soviétique, son fils et son père étant emprisonnés en représailles. L’émission n’oublie pas bien sûr un hommage à Salman Rushdie, en couverture du New Yorker, un oeil voilé de noir après avoir échappé récemment à une tentative d’assassinat, l’autre oeil, rieur, comme un affront à toutes les fatwa et ceux qui veulent faire taire tous ceux qui pensent que « Il faut dire ce que l’on voit et voir ce que l’on voit ».