Un peu plus de trois ans après l’ouverture de sa première saison avec Don Carlos, Jan Vandenhouwe met à l’affiche l’autre opéra de Verdi qui évoque l’Empereur Charles Quint – né à Gand. Ouvrage de jeunesse adaptant le célèbre drame de Victor Hugo qui, avec la bataille lors de sa création, a fait pleinement entrer le théâtre français dans l’âge romantique, Ernani constitue par certains aspects l’un des premiers essais de Verdi dans l’exacerbation des individualités héroïques qui culminera sans doute avec Le Trouvère. Si la gloire de Hugo a beaucoup moins pâli que celle de Gutiérrez, l’intrigue passablement tarabiscotée, et non dénuée d’emphase, vaut d’abord comme canevas pour des scènes et des airs qui, dans le cas du Trouvère, appartiennent à la légende lyrique. Mais dès cet opus de jeunesse, on décèle déjà une invention mélodique puissante, particulièrement dans les deux derniers actes, où la force et la beauté des sentiments pourraient presque s’abstraire des péripéties du drame. C’est dans cette optique que Barbora Horakova Joly a choisi de ne conserver que la sève musicale, en remplaçant les récitatifs utilitaires par des textes de Peter Verhelst, déclamés par Johan Leysen avec une conviction qui, faute d’une constance dans les ressources du verbe, ne franchit pas toujours la scène. L’essentiel de cette relecture onirique qui pousse la plongée dans les traumatismes psychologiques du héros au-delà des codes théâtraux usuels réside davantage dans les vidéos abstraites ou évocatrices de Tabea Rothfuchs, meublant mieux, sous les lumières de Stefan Bolliger, la scénographie dessinée par Eva-Maria Van Acker que les jalons poétiques textuels et quelques rares accessoires, à l’exemple d’une grande maquette de cœur avec ses ventricules palpitant à l’heure du sacrifice.
Un écrin pour les rôles principaux
Si cet écrin littéraire et visuel n’éclaire pas nécessairement mieux les motivations dramatiques de la pièce, du moins en retire-t-elle la poussière conventionnelle et resserre-t-elle l’attention sur le quatuor matrice vocale de l’ouvrage, les apparitions secondaires purement fonctionnelles étant élaguées ou fondues dans les choeurs – solidement préparés par Jef Smits. Plus exactement, c’est autour du rôle-titre, chanté à Gand par un Denys Pivnitskyi investi, quasi halluciné, que tournent les trois autres figures principales. Le ténor ukrainien met opportunément en valeur l’écriture verdienne, transformant la pure élégance belcantiste héritée de Bellini et Donizetti en une vigueur soumettant la virtuosité à l’intensité expressive. En Elvira, Sandra Janusaite se révèle complémentaire avec un lyrisme nerveux Si Ernesto Petti condense l’autorité impériale de Charles Quint – Don Carlos dans l’opéra –, Andreas Bauer Kanabas se distingue par un Don Ruy Gomez de Silva opportunément sanguin. Sous la direction de Julia Jones, l’Orchestre symphonique de l’Opéra Ballet des Flandres fait respirer l’élan irrésistible d’une partition qui vaut d’abord sans doute comme jalon documentant l’évolution de Verdi – et par la présence de la figure native de Gand Charles Quint, s’inscrit logiquement dans un ancrage de l’Opéra de Flandres dans l’histoire de son territoire. Au-delà de Verdi, celui-ci pourrait se prolonger avec une autre rareté presque contemporaine du Forgeron de Gand de Schreker, Karl V de Krenek. La curiosité n’est pas la moindre des qualités de l’institution flamande.
Par Gilles Charlassier
Ernani, opéra de Verdi, à Anvers en décembre 2022 et à Gand en janvier 2023.