La momification de la musique classique est désormais un cliché obsolète. Si la plupart des formations symphoniques inscrivent la musique « contemporaine » au cœur de leur répertoire et s’attachent à renouveler leur audience en s’ouvrant à un public rajeuni, le travail mené par l’Orchestre national de Bretagne et son administrateur Marc Feldman depuis une dizaine d’années se révèle exemplaire. Pour ce qui est de la diversification générationnelle, un coup d’oeil sur la salle ou à l’entracte, lors du concert dirigé par Fiona Monbet à l’Opéra de Rennes, permet de se convaincre combien la jeunesse rennaise, sinon bretonne, s’est approprié « son » orchestre, au-delà des actions en milieu scolaire et universitaire.
Dans le prolongement naturel de l’engagement aux côtés de la création, sans préjugés esthétiques, le programme des concerts du 27 et 28 octobre s’inscrit dans le projet du consortium initié par cinq orchestres français – les quatre autres étant l’Orchestre national Avignon-Provence, l’Orchestre symphonique de Mulhouse, l’Orchestre national de Cannes et l’Orchestre de Picardie – afin de contribuer à la diffusion de nouvelles œuvres par d’autres formations que les ensembles spécialisés, et ainsi à leur inscription au cœur du paysage musical. Après la première mondiale à Avignon en juin dernier, le Concerto pour violoncelle commandé à Michaël Levinas poursuit sa tournée dans la capitale bretonne. Imaginée alors qu’un confinement sanitaire figeait le pays, la partition réinvente les codes du genre concertant. Partant de l’instrument soliste, dont elle explore les potentialités de timbres et de jeux sans que la virtuosité ne devienne jamais gratuitement démonstrative, la partition traite la réponse orchestrale comme l’écho ou les fantômes du violoncelle – avec des teintes aux allures de tulle parfois redoutables d’exécution, à l’exemple de la partie de cor. En quatre sections, c’est un authentique voyage poétique, depuis la pudique lamentation du Choral en larmes jusqu’à un épilogue feutré qui prolonge la densification évolutive du troisième mouvement Les chemins égarés. L’archet de Henri Demarquette, qui a accompagné le compositeur dans ses recherches sur la lutherie pour enrichir la palette de l’écriture, met en avant la richesse expressive, les couleurs et les textures, aussi évocatrices qu’empreintes d’intériorité, d’une page confirmant que les ressources modales et polyphoniques n’appartiennent pas au passé, dans un voisinage avec des grands classiques qui, à chaque étape de la tournée, participera à la diversité des écoutes – signe évident que l’on fera vivre cette création d’une magnifique sensibilité.
La création au cœur du répertoire
C’est ainsi que, après Avignon où l’opus partageait l’affiche avec la Symphonie n°3 de Beethoven, le programme rennais le juxtapose avec la Symphonie n°41 en ut majeur de Mozart, l’ultime du génie de Salzbourg. Fiona Monbet, qui fait partie des six personnalités en lice pour la succession de Grant Llewellyn à la direction musicale de l’Orchestre de Bretagne – dans une parfaite parité, les cinq autres étant Joana Carneiro, Anna Duczmal-Mroz, Aurélien Azan Zielinski, Nicoals Ellis et Benjamin Levy –, fait ressortir la vitalité d’une inimitable générosité mélodique et rythmique. Plus que la pulsation rhétorique, que les baroqueux ont souvent voulu souligner, la présente lecture, assimilant – comme désormais la plupart des approches symphoniques aujourd’hui du classicisme viennois – la franchise des attaques et la clarté du son héritées du travail sur instruments d’époque, privilégie une certaine théâtralité des émotions qui n’hésite pas à bousculer ça et là les notes pour ménager des effets, à l’exemple de l’émulsive jubilation du finale, mais aussi dans les contrastes et les demi-teintes, voilant ça et là l’Allegro vivace augural comme l’Andante cantabile, aux ambiguïtés quasi schubertiennes. Enfin, avec son parcours iconoclaste, à la croisée des genres, la cheffe française a choisi, avec la Création du monde de Milhaud en ouverture de soirée, un parfait résumé de cette hybridation dépassant les clivages traditionnels : le court ballet pour orchestre de chambre chatoyant est l’un des premières assimilations du jazz dans la musique occidentale, un an avant Rhapsodie in Blue. Assurément, l’Orchestre national de Bretagne ignore les frontières.
Par Gilles Charlassier
Orchestre national de Bretagne, concerts des 27 et 28 octobre 2022