Il était l’un des grands noms du piano de notre temps, mais aussi un chef d’orchestre estimé, sinon aimé. Les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris, dont il était le directeur depuis 2020, ne diront pas le contraire. Lars Vogt a été emporté par un cancer du foie le 5 septembre dernier, à quelques jours de son cinquante-deuxième anniversaire. Pour son ouverture de saison, l’Orchestre de chambre de Paris a voulu lui rendre hommage. Après un bref film évoquant la générosité artistique du pianiste, et son regard sur la complicité dans une formation orchestrale aux dimensions chambristes, le concert s’ouvre sur la tendresse de Schubert. L’intermède de Rosamunde après le troisième acte, noté Andantino, affirme, sous la houlette de Maxim Emelyanychev, une tendresse magnifiée par la douceur des tempi et du phrasé, sans effet rhétorique. C’est la simplicité de la sincérité qui est privilégiée, au parfait diapason de la pudeur recueillie de ce moment à la mémoire de Lars Vogt.
Le reste de la soirée confirme d’évidentes affinités du fondateur de l’ensemble Il pomo d’oro, largement célébré, avec les pupitres parisiens. Les chatoiements du Tombeau de Couperin de Ravel sont mis en valeur dès un Prélude mené avec souplesse et fluidité. La Forlane respire avec une modération presque alanguie que l’on retrouve dans le Menuet, contrastant d’autant mieux avec l’entrain étourdissant du Rigaudon qui referme ce choix de quatre des six numéros de l’opus ravélien – manquent la Fugue et la Toccata de l’original pianistique que Ravel n’a pas lui-même orchestrées, ce que d’autres ont pu faire de manière posthume.
Vitalité schumanienne
Avec le Concerto pour violoncelle en ré majeur dont l’attribution à Haydn a pris presque deux siècles, la gloire du créateur de l’ouvrage, Antoine Kraft ayant fini par occulter pendant de longues décennies l’identité véritable du compositeur, le public applaudit en Sheku Kanneh-Mason un soliste à la virtuosité frémissante. L’Allegro moderato augural en témoigne avec, accompagné par la complicité d’un orchestre à la fois complice et sobre, un lyrisme qui s’épanouit dans l’Adagio. L’Allegro final rayonne d’un élan de la ligne volontiers nerveux, parfois jusqu’aux confins de la netteté du timbre, en particulier dans le haut de la tessiture. En bis, le Britannique livre une des improvisations gravées dans son dernier disque.
Après l’entracte, Maxim Emelyanychev rend justice à la Symphonie n°4 en ré mineur de Schumann, dans une lecture énergique, avec des tempi parfois très allants. En quatre parties jouées sans pause, comme d’un seul tenant, la partition porte l’empreinte de Beethoven, que le compositeur allemand a fait évoluer d’une manière singulière longtemps méprisée par l’histoire symphonique. Pourtant, si la pâte annonce l’évolution vers la densité de Brahms, elle se distingue par une clarté et une lumière dans l’articulation qui n’échappent pas aux musiciens parisiens. Les épisodes vifs résonnent presque avec emportement, la Romance séduit par une rondeur bien calibrée, avec une sensibilité jamais affectée, tandis que le Scherzo fait preuve d’une dynamique qui s’inscrit dans une approche restituant la vitalité d’une construction formelle façonnée par le mouvement, même dans la fugue de la dernière section. Un magnifique chant de vie qui ouvre la saison de l’Orchestre de chambre de Paris et salue la mémoire de son directeur musical, laquelle sera également célébrée le 4 octobre prochain à la Philharmonie, avec quelques uns des plus proches partenaires du pianiste.
Par Gilles Charlassier
Orchestre de chambre de Paris, concert du 22 septembre 2022. Hommage à Lars Vogt le 4 octobre 2022 à la Philharmonie