Il arrive parfois qu’avec les reprises un spectacle se bonifie. C’est le cas de l’Orphée et Eurydice de Gluck mis en scène par Robert Carsen pour le Théâtre des Champs Elysées. Présenté une première fois en mai 2018 avec Philippe Jaroussky dans le rôle-titre, et sous la baguette de Diego Fasolis, le spectacle revient – grâce aux soins de Christophe Gayral et Matthieu Pouly, ce dernier réglant les lumières calibrées par le metteur en scène canadien, conjointement avec Peter Van Praet – avec en tête d’affiche la nouvelle coqueluche du public, Jakub Orlinski.
On retrouve l’économie de la scénographie : sur un plateau quasi nu le poète déplore la mort de son épouse, se détachant d’un peuple aux allures de choeur antique, vêtu par Tobais Hoheisel d’un noir rappelant les deuils méridionaux – après tout la mythologie est grecque –, avec des effectifs du Balthasar Neumann remarquablement préparés. A même le sol, la tombe sert de porte d’entrée aux Enfers, le changement de tableau constituant habilement l’ellipse de la catabase. Dans l’outre-tombe, aux éclairages tamisés, les flammes et les corps étendus – figurants et choeurs – condensent une quintessence symbolique. Si la remontée vers la Terre, dans un jeu qui ne veut pas se figer dans le refus de tourner le regard vers la bien-aimée, dilue peut-être un peu la décantation presque naturaliste du propos, le calibrage des lumières jusque dans la salle confirme l’admirable maîtrise de cette mise en abyme de l’art lyrique restituée sans aucune affectation aucune.
La quintessence du mythe
La sincérité de l’engagement du contre-ténor polonais contribue assurément la réussite cette reprise. La juvénilité, au fruité légèrement acidulé, du timbre, qui condense les élans et les sentiments de l’aède, ne se limite pas à l’archétype et n’oublie pas la consistance de l’incarnation. Continuellement en scène, le soliste ne faillit pas et s’impose vraisemblablement comme l’un des meilleurs tenants actuels du rôle. En Eurydice annoncée quelque peu souffrante, Regula Mühlemann ne manque pas pour autant de présence, même si le babil, plausiblement perturbé par son indisposition, n’a pas la séduction franche et aérienne de l’Amour d’Elena Galitskaya, prenant le relais d’Emöke Barath sans avoir à pâlir de la comparaison. Mais ce trio ne peut que montrer gratitude à la direction de Thomas Hengelbrock. A la tête de son Orchestre Balthasar Neumann, il fait respirer une vitalité dramatique qui ne se confond jamais avec certains stéréotypes baroqueux : la rhétorique n’interdit pas la sensualité de l’expression. Les couleurs des pupitres s’épanouissent avec une fraîcheur qui rend justice à cette fable lyrique, encore plus ramassée dans la première version viennoise – en italien, de 1762 – retenue pour cette production. Un Orphée sans gras mais non sans saveurs !
Par Gilles Charlassier
Orphée et Eurydice, Gluck, Théâtre des Champs Elysées, du 21 septembre au 1er octobre 2022.