Il est des êtres qui paraissent sans âge. Après son dixième livre , Le bal des Cendres (publié chez Plon), Gilles Paris refuse le mot « d’oeuvre ». Avec cette impression de ne pas y toucher depuis ses carnets intimes débutés à 10 ans, l’écriture a pourtant été sa plus fidèle compagne pour tenter de vivre. Mais ne lui parlez pas de résilience, « un mot que je n’aime pas » . Il préfère les anti-héros comme les personnages qui peuplent son dernier roman, chacun avec leurs fêlures, à l’image du volcan Stromboli et de ses « bouches » qui crachent la lave, un personnage à part entière dans ce roman chorale qu’il a mis quatre ans à écrire, l’abandonnant parfois pour d’autres écrits thérapeutiques comme son livre Certains coeurs lâchent pour rien, un témoignage sans fard sur ses multiples dépressions.
Michel Audiard disait qu’il fallait une fêlure chez les êtres humains pour faire passer la lumière, je suppose que cela vous parle?
Ce qui m’intéresse surtout dans mes personnages est ce qu’ils font de leurs épreuves. Face à elles, on a tous une manière très différente de réagir. Prenez Anton, mon personnage, c’est un chirurgien brillant, capable de porter tout le monde sur son dos mais qui, une fois chez lui avec sa femme a besoin d’un désir faramineux de donner un sens à sa vie.
Tous vos personnages semblent désaxés. Avoir un personnage qui va bien ne vous tente pas?
Non, je m’attache généralement aux « ours », aux personnalités difficiles comme les personnages de Tennessee Williams qui est le premier auteur que, jeune, j’ai découvert. C’est l’écrivain qui m’a façonné littérairement et dans ma vie aussi. Après, les épreuves que j’ai pu connaître par la suite ont inspiré mes livres, mais je suis davantage attiré par les auteurs marqués par la douleur d’être né que par une littérature « feel good ». Elle est toutefois indispensable pour faire vivre les maisons d’édition lorsque l’on sait que 75 % des auteurs vendent moins de 500 livres!
Quel est le moment que vous préférez dans la vie d’un livre? L’écrire, envoyer le manuscrit une fois fini, le découvrir en librairie ou les signatures?
C’est bien sûr écrire, je me réveille même la nuit en pensant à mes personnages. Pour les signatures, je suis assez bonne pâte, car entre les gens avec lesquels tu as une vraie rencontre, il y a ceux qui vous demande où sont les toilettes ou de « pitcher » vos livres en quelques minutes puis ensuite se barrent. Et qui recommencent avec mon voisin de table. Reste le plaisir de retrouver les copains alors que l’écriture est forcement une activité solitaire.
Et celui que vous détestez le plus?
Le moment où j’envoie un manuscrit et que l’attente de la réponse de l’éditeur se prolonge. Une fois le livre en librairie, je n’y met plus les pieds à moins pour une signature ou une rencontre.
Comment gérez-vous le temps entre votre travail d’attaché de presse pour les autres écrivains et celui d’ écrire?
J’écris pendant les vacances et je prend aussi des semaines à l’hôtel, seul, où il m’arrive d’ écrire de huit heures à minuit.
Le bal des cendres foisonne de descriptions. Vous emmenez toujours un petit carnet de notes?
Je suis allé en quatre ans deux fois à Stromboli et j’ai pris une quantité de notes, notamment avec un vulcanologue français qui m’a raconté comment cela se passe à l’intérieur du cratère. Et pourquoi le volcan est imprévisible, sauf pour les locaux qui savent en lire les signes.
Savez-vous comme un cinéaste quand le film, le livre est fini?
Non, j’écris vraiment un livre dans la continuité. Ensuite, je vais reprendre tous les chapitres sur un des personnages, les lire les uns derrière les autres pour voir si je n’ai pas commis un impair.
Arrive-t’il que vos personnages vous surprennent, qu’ils vous échappent?
Je travaille énormément la psychologie des gens. Au début, ce sont juste des personnages de papier mais si tu ne leur donne pas des os, du sang, de la vie, il faut faire un autre métier.
Et comment faites-vous pour vos personnages féminins?
J’adore me mettre dans la peau des femmes comme je l’avais fait auparavant dans Le vertige des falaises. Là, j’ai inventé le personnage d’Helena évoluant dans son palais à Palerme en cherchant à ce que cela soit très visuel. J’ai d’ailleurs plusieurs propositions pour adapter le roman en film.
C’est une vraie tendance de s’attaquer à l’adaptation d’un livre dans le monde scénographique, d’autant que Le bal des Cendres s’y prête particulièrement
J’ai quitté avec ce livre là le monde des enfants et leur façon de s’exprimer qui a toujours été chez moi très naturelle, sans effort. J’ai fait beaucoup d’effort avec ce livre, je m’en suis occupé plus qu’un autre, d’autant que la concurrence n’a jamais été aussi rude. Mais j’ai toujours tenu à écrire des livres qui font réfléchir. Je veux que le lecteur soit encore hanté après avoir fermé mon livre.
Nul doute que Giulia, Anton, Thomas, Ethel et tous les autres réussissent ce pari, réunis dans cet hôtel Strongyle, inventé par l’auteur, pour livrer un roman entre ombre et lumière qui, à défaut de vous hanter, vous fera vivre cet été un enivrant voyage.
par Laetitia Monsacré