Le public avait redécouvert, en 2015, Les chevaliers de la table ronde de Louis-Auguste-Florimond Ronger dit Hervé, l’autre grande figure de l’opéra-bouffe au dix-neuvième siècle, moins connue qu’Offenbach, avec la production de Pierre-André Weitz pour la compagnie Les Brigands, dans un esprit qui assumait ses accointances avec le cabaret – et avec un succès qui ne s’est jamais démenti au fil de la tournée. Trois années plus tard, l’Opéra de Lausanne proposait une autre lecture de l’ouvrage, confiée à Jean-François Vincigerra, que Frédéric Roels, le directeur de l’Opéra d’Avignon a voulu reprendre pour ces fêtes de fin d’année, en revenant, pour la première fois depuis sa résurrection, à la version pour orchestre symphonique. L’arrangement de Simon Cochard s’appuie sur le travail de Thibaut Perrine, qui avait conçu la réduction pour le spectacle des Brigands – un joli clin d’œil dans cette manière de refermer la boucle !
Dans la scénographie de château-fort de carton-pâte dessinée par Dominique Pichou, rehaussée par les lumières de Geneviève Soubirou, et le kitsch assumé des costumes d’Amélie Reymond, le spectacle de Jean-François Vinciguerra, qui incarne par ailleurs Merlin II, avec un aplomb déclamatoire réjouissant, ne craint pas l’humour potache, mêlant, en particulier dans le générique introduisant l’intrigue et les personnages, l’héritage des Monty Pythons avec les comédies de Louis de Funès – la trilogie des Fantômas. L’adaptation du livret multiplie les calembours, pour exciter le rire contemporain, parfois avec une certaine facilité, que l’on ne reprochera pas trop en cette période de fêtes et de besoin de légèreté. L’ensemble se révèle haut-en-couleurs, et n’empêche pas l’épanouissement de la musique, en particulier dans une seconde partie plus ramassée.
Le rire avec la musique
Si la distribution fait une place évidente au théâtre, elle n’oublie pas le tropisme plus lyrique de la production. On retrouve de vieux routards du bouffe et de l’opérette, à l’exemple de Jacques Lemaire, duc Rodomont à la gouaille certaine, et à la projection vocale quelque peu émérite dans les parties chantées, face au Sacripant robuste de Richard Lahady. Le quatuor de chevalier décline un savoureux kaléidoscope de bouffonneries chevaleresques, du Lancelot de Thimothée Varon au Renaud d’Yvan Rebeyrol, en passant par l’Amadis de Maxence Billiemaz et l’Ogier de Joé Bertili.
Mais les personnalités plus opératiques ne manquent pas. Le Médor de Blaise Rantoanina ne néglige pas l’éclat du timbre, qui, avec des minauderies précieuses, constitue la marque de fabrique du Roland de Mark van Arsdale façon L’Oréal. Jenny Daviet affirme l’impulsivité juvénile de la Princesse Angélique. Mais les deux incarnations les plus complètes restent sans doute la Totoche de Sarah Laulan, qui sait jouer des ressources de son médium et de ses graves avec un talent amphibie entre texte et chant, et la Mélusine de Laurène Paternò, qui, sous une apparence de raucités, laisse éclore un ligne vocale aussi lumineuse que vive, sinon acérée. Cette réjouissante vitalité musicale trouve son relais dans la direction alerte de Christophe Talmont, à la tête de l’Orchestre national Avignon-Provence, qui met en valeur les chatoiements exquis de la parodie, à leur acmé dans le troisième acte, avec entre autres, d’irrésistibles réécritures de Gounod et Berlioz. Le rire est encore meilleur quand il vient avec la musique, et ces Chevaliers de la table ronde avignonnais en témoignent avec éloquence.
Par Gilles Charlassier
Les Chevaliers de la tables ronde, Hervé, Opéra Grand Avignon, du 29 au 31 décembre 2021.