Quel usager (usagé?) des transports ferroviaires, urbains ou de longue distance, n’a jamais attendu, debout dans le métro ou devant le panneau d’affiche de la gare, tandis que la voix bousculée du conducteur, ou, artificiellement calme d’une boîte enregistrée, annonçait que le train était retardé « pour cause de régulation de trafic ». Cette fois c’est l’économie mondiale qui doit faire un arrêt inopiné à la station pandémie. Heureusement, pour l’instant, ce ne sont que quelques dizaines de milliers de victimes, et à peine une poignée de trépassés – quelques centaines, une goutte d’eau, en comparaison avec l’hécatombe de la grippe espagnole à la fin de la Première Guerre Mondiale.
Mais pour notre aujourd’hui qui court après la moindre once de croissance ou de profit, en avion, en TGV, en voiture ou même à trottinette, sans même se garder des rafales de tempête qui peuvent faire verser à tout instant, le délai est une contrariété majeure, difficilement tolérable. Avec le ralentissement de l’activité aérienne et du tourisme, les magnats du pétrole s’inquiètent, tandis que la demande de masques explose, les malades suspects sont mis en quarantaine, surtout s’ils ont le malheur de revenir de Wuhan, la Chine au ban des Nations pour sa gestion d’une épidémie virale partie depuis ses merveilleuses frontières totalitaires où l’idéologie communiste se fait la servante zélée de l’avidité capitaliste. L’origine du mal serait un petit mammifère sauvage de l’Asie, activement chassé par les Chinois pour sa chair délicate, porteur sain d’un virus que l’on trouve chez les chauves-souris.
Régulation démographique
L’ivresse du commerce ne s’embarrasse pas des frontières entre les espèces, les agents infectieux non plus. Ils voyagent sans passeport et se moquent des contrôles de sécurité qui scandent désormais notre existence, à l’aéroport, à la gare, au musée, au théâtre, à la préfecture – tout accueil de public ne peut désormais se faire que dans une asepsie stérile, écartant tout risque. Mais les virus passent au travers de l’exigence de transparence sécuritaire. Comme dans les fermes de mille poules, veaux, vaches et cochons, les concentrations démographiques, animales et humaines, sont un terreau idéal pour la culture intensive des maladies et infections. Que, comme à l’époque du SRAS, la Chine, l’une des parties du monde les plus peuplées, soit le foyer de départ du feu contagieux ne devrait qu’à demi étonner. Et de tous temps, la Nature a su plus ou moins contenir la démographie des espèces par un aléatoire cocktail de bactéries, virus, parasites et autres prédateurs de toutes tailles, élargissant la chaîne alimentaire par les deux bouts, n’en déplaisent aux végans. Devenue endémique, avec bientôt près de dix milliards de bouches à nourrir grâce à des fermes de milliards d’insectes, véritablement bombes écologiques confinées, l’espère humaine ne saurait échapper aux lois du grand nombre, même avec le secours de la science et de la médecine. Pas sûr cependant que cet épisode pandémique, qui vient enrichir la silencieuse régulation démographique naturelle de la grippe hivernale, soit suffisante pour soulager la planète Terre. En tous cas, pas cette fois.
Par Gilles Charlassier