Si l’aventure d’Aujourd’hui musiques à Perpignan a commencé en 1992, au Conservatoire de la cité roussillonnaise, le projet a évolué avec l’ouverture du Théâtre de l’Archipel en 2011, devenu désormais l’épicentre de ce rendez-vous de la musique contemporaine. Présente depuis les premières années, et aujourd’hui directrice artistique du festival, depuis le recentrage du festival dans le bâtiment construit par Jean Nouvel, Jackie Surjus-Collet a tiré parti des possibilités offertes par le lieu pour donner corps aux attentes des compositeurs, avides de sortir des cloisonnements où la création est parfois enfermée. Grâce à la diversité et la modularité des espaces, elle peut ainsi défendre un croisement entre les arts sonores et visuels, à la fois expérimental et ludique, en phase avec les évolutions technologiques et numériques de notre époque, réinvesties dans une formulation esthétique qui se veut aussi le reflet de nos interrogations d’aujourd’hui.
Au croisement des genres et des publics
Ce croisement entre les formes et les genres se déploie naturellement au fil des spectacles présentés en soirée que nous avons vus pendant notre escale à Perpignan. Si la commande passée à Cyril Hernandez, Cosmophonies, ce qui vit en nous, porte sans doute les stigmates de la violente expulsion de l’association Mains d’Oeuvres de ses locaux à Saint-Ouen, privant les artistes en résidence de leur matériel muré dans le bâtiment, Encore la vie, réunissant les quatre percussions de l’Ensemble TaCTuS et les quatre jongleurs du Collectif Petit Travers, témoigne de cette rencontre de la création musicale et des ressources du cirque qu’illustrait déjà en 2017 la compagnie Lonely Circus avec Masse critique. Le jeu de symétrie et de subtils décalages visuels et sonores façonne un fil narratif quasi hypnotique, nourri d’illusions optiques, dont se détachent des images extatiques, à l’exemple de l’augurale onde de balles blanches s’évanouissant dans la brume, tandis que les gazouillis juvéniles entendus ça et là dans la salle du Grenat confirment que la magie n’est pas exemple d’humour à portée de tous – une séance scolaire de la production a été donnée en matinée, avant une soirée plus familiale.
Ce sens de l’ouverture, tant en termes de programmation que de public se retrouve dans les installations aux vertus éducatives qui investissent l’ensemble du théâtre, à l’exemple du parcours imaginé par Erik Lorré et Florent Colautti au Studio, où deux dispositifs interactifs minimalistes invitent à une prise de conscience sensitive avec les enjeux écologiques, tandis que deux autres séquences immersives proposent une parenthèse aux confins du silence et de l’obscurité. Une Procession silencieuse de figurines en fil de fer connectées, avec des réactions traduites en sons, accueille les spectateurs dans la verrière, quand un avant-concert, chaque soir, explore les palettes diverses de l’électroacoustique, à l’instar des deux performances planantes de Philippe Santos – Nebula et Terminal radieux. Avec Aujourd’hui musiques, Jackie Collet-Surjus réussit le pari de mettre la création à la portée de tous, défiant l’habituel préjugé parisien et élitisme, sans sacrifier l’exigence artistique.
Gilles Charlassier
Festival Aujourd’hui musiques, Perpignan, Théâtre de l’Archipel, novembre 2019