Les géants s’en vont, ainsi mesure-t-on la fin d’une époque. Le jour des obsèques de Jacques Chirac, l’un des derniers Mohicans de la politique « d’avant », moins pasteurisée par les normes, mais pas nécessairement moins « éthique », disparaît l’une des plus grandes cantatrices du vingtième siècle, Jessye Norman. Né en 1945 dans l’état de Géorgie aux Etats-Unis, elle a commencé sa carrière en Europe à la fin des années soixante, à Berlin-Ouest, où elle fut, dans Tannhäuser, l’une des premières Elisabeth noire de l’histoire wagnérienne. Avec sa voix de soprano dramatique, elle aborde un large répertoire, en particulier germanique et français. Défiant les barrières, elle travailla aussi bien avec les grands chefs romantiques que les pionniers du Baroque, à l’exemple de John Eliot Gardiner, dans Hippolyte et Aricie au Festival d’Aix-en-Provence, sans oublier le jazz, les spirituals ou la mélodie, jusque dans la création, commandant en 2000 pour le Carnegie Hall un cycle de pièces sur des textes de trois auteures américaines.
Une diva au-delà des frontières
Personnage de diva qui avait progressivement délaissé la scène pour le concert et le récital, Jessye Norman ne s’est jamais enfermée dans la tour d’ivoire des théâtres d’opéra. Elle a porté la voix du grand art lyrique au-delà des cénacles habituels, lors de manifestations publiques, investitures de présidents américains ou jubilé du soixantième anniversaire d’Elisabeth II, et surtout le bicentenaire de la Révolution Française, où elle entonne, Place de la Concorde, La Marseillaise, drapée dans une robe aux couleurs du drapeau tricolore. Cette présence imposante et irrésistible, à la voix opulente a représenté, pour le grand public, le monde de l’opéra, jusqu’à inspirer, semble-t-il le film de Jean-Jacques Beineix, Diva. Si le disque et les vidéos, références non pléthoriques, conservent le témoignage de celle que c’est fan surnommaient « Just Enormous », c’est une figure d’un monde désormais révolu, où la langue de bois n’était pas encore en contreplaqué industriel, qui s’en est allée.
GC