Tandis que Bastille conjugue le Baroque et le hip-hop au moment où Garnier met à l’affiche une nouvelle Traviata, l’Opéra Comique fait une rentrée aussi audacieuse que réussie avec la création du deuxième opus lyrique de Francesco Filidei, L’inondation, où tous les édiles de la musique contemporaine se pressent à la corbeille pour cette soirée de première. En deux heures, sans entracte, l’adaptation du roman éponyme de Zamiatine par Joël Pommerat se laisse suivre presque à la manière d’un film. Suivant la trame littéraire, le livret du metteur en scène affirme une prenante continuité narrative, dans une langue sans superflu, que magnifient les qualités lyriques de l’écriture vocale. Témoin de la collaboration étroite entre le compositeur et le dramaturge, le développement linéaire de la pièce impose son rythme à une partition tissant de séduisantes alchimies de timbres et de murmures, comme autant de jalons dramatiques.
Presque comme au cinéma
Si le vestiaire dessiné par Isabelle Deffin fait glisser la Russie soviétique vers un visuel plus actuel, la scénographie d’Eric Soyer résume efficacement un voisinage domestique décliné par un habile jeu de lumières, maintenant un suspens feutré. La vidéo de Renaud Rubiano illustre la montée des eaux – et celle du drame. Dans le rôle de la Femme, qui assassinera la Jeune Fille, d’une fraîcheur intelligemment colorée par Norma Nahoun, Chloé Briot se distingue par un engagement sans faille, et une belle maîtrise des inflexions psychologiques du personnage. Boris Grappe fait un solide époux, quand la déclamation claire et lyrique d’Enguerrand de Hys sert la caractérisation du Voisin, aux côtés de la Voisine campée par Yael Raanan-Vandor. Le contre-ténor Guilhem Terrail développe le récit diaphane et distancié du Policier-narrateur, quand l’intervention finale du Médecin de Vincent Le Texier se double de savoureux effets de réverbérations graves aux bassons.
Sous la baguette d’Emilio Pomàrico, le Philharmonique de Radio France fait chanter une invention musicale et orchestrale au service de l’histoire, qui dépasse les clivages entre accessibilité et exploration moderniste. En coproduction avec Angers-Nantes, Rennes, Luxembourg, Caen et Limoges, et sans révolutionner les codes du genre opératique, cette Inondation a tous les atouts pour devenir un classique du répertoire contemporain.
GC
L’inondation, Filidei, Opéra Comique, jusqu’au 3 octobre 2019