Les réflexes touristiques résument généralement Athènes – et la Grèce – au patrimoine archéologique hérité de l’Antiquité. Pourtant la vie culturelle de la capitale hellénique n’ignore pas les arts de la scène, ni le répertoire. Quoique née à New York, Maria Callas fit ses premiers pas à l’Opéra national grec, et le festival d’été accueillit des soirées légendaires, avec des solistes qui ne l’étaient pas moins. Depuis 2016, l’institution a ses quartiers au Centre Stavros Niarchos, dans la baie de Faliro, à quelques kilomètres du centre-ville, sur le terrain d’un ancien hippodrome célébrant la mémoire d’un armateur passionné de chevaux. Dessiné par Renzo Piano, le complexe réserve à l’Opéra deux salles – un grand auditorium, et une plus modeste et modulable – aux côtés de la Bibliothèque Nationale, tandis que sur le toit, un parc planté d’essences méditerranéennes invite à une agréable ballade. Outre les transports publics, un peu pointillistes à certaines heures, une navette – gratuite pour les visiteurs – permet de rejoindre la fameuse place Syntagma, en face du Parlement.
En cet automne, le ballet, au développement duquel Tatiana Mamaki a oeuvré de manière déterminante, présente une nouvelle production du Lac des cygnes, réglée par Konstantinos Rigos, le nouveau directeur artistique de la compagnie. Si le spectacle fait appel à Ted Regklis, pour quelques ajouts sonores à la dramatisation un peu appuyée, sinon artificielle, au début de chaque acte, c’est d’abord la scénographie – et les costumes dessinés par George Segredakis – qui retient de prime abord l’attention, avec des couleurs sombres et des cuirs parfois aux confins du punk ou du gothique, selon les références de chacun. On pourrait s’imaginer dans les pas de relectures iconoclastes du chef-d’oeuvre de Tchaïkovski, porté par une partition qui n’a guère besoin de béquille.
Programmation multiple
Mais, sans ignorer l’héritage de Petipa et Ivanov, la chorégraphie se révèle à son meilleur quand elle parodie les numéros obligés, à l’exemple des danses de genre, hongroise, espagnole, polonaise ou russe. A la fois virtuose et décalé, le résultat instille une irrésistible fraîcheur. La conclusion, usant de la vidéo pour superposer condamnation et rédemption pèche sans doute par un excès d’intentions dramaturgiques. Parmi les interprètes, on saluera en particulier le Siegfried torturé, sinon soumis, incarné par Igor Siadzko. Eleana Andreouidi affirme une Odette vigoureuse et tentatrice, qui contraste justement avec l’Odile de Natasha Siouta. Les distributions font alterner les interprètes de Rothbart et du Tuteur (respectivement Stratos Papanoussis et George Varvariotis le 16 novembre). Sous la baguette d’Elias Voudouris, la soirée n’oublie pas les oreilles.
Si le festival de piano investit la petite salle en ce début de saison, on peut également y applaudir la première grecque de La Rose blanche, opéra de chambre de Udo Zimmerman qui relate les dernières heures de deux étudiants munichois, frère et sœur, Hans et Sophie Scholl, membres d’un groupe de résistance au régime nazi, la Rose blanche. En miroir de l’économie de la partition, et d’un livret oscillant entre dialogues réels et monologues intérieurs, Themelis Glynatsis signe une production décantée, sur la scénographie dépouillée d’Alexia Theodoraki, sous les lumières de Stella Kaltsou, avec un dispositif vidéo projetant la traduction du texte. Aphrodite Patoulidou et Christos Kechris prêtent leurs voix aux deux héros, dans un récit poignant, enfin mis à la portée du public grec. Entre grands formats et d’autres plus modestes, l’Opéra national grec n’oublie pas les mélomanes en herbe, qui entre octobre et janvier, pourront suivre, s’ils ne sont pas trop bruyants, les aventures du Rossignol de l’empereur de Lena Platonos, dans une mise en scène colorée de Katerina Petsatido, compensant un matériau musical un peu succin. Assurément, le Centre Stavros Niarchos n’oublie personne pour être, même en périphérie de la ville, au centre de la vie culturelle athénienne.
Par Gilles Charlassier
Le lac des cygnes, La Rose blanche, Opéra d’Athènes, novembre 2018