Il y a des familles, des parents ou des grands-parents avec leurs enfants et petits-enfants, un petit groupe de lycéens emmenés par leur professeure d’histoire. Ce n’est pas une matinée jeune public que le Grand-Théâtre d’Angers programme pour ce dimanche après-midi de mi-décembre, ni un des grands classiques pour les fêtes de fin d’année. Mais on est bien dans le domaine du féerique, avec une nouvelle production de Cendrillon de Massenet, commandée par l’Angers Nantes Opéra à Ezio Toffolutti.
Du compositeur stéphanois, on ne retient généralement que Manon et Werther, ses deux ouvrages les plus souvent mis à l’affiche, alors que son corpus lyrique ne manque pas de bijoux à redécouvrir. Seule incursion du musicien français dans le domaine du conte, Cendrillon avait fait date à sa création, pour avoir été l’un des premiers spectacles d’opéra à faire appel à l’électricité, qui venait d’être installée à Favart, après des travaux de rénovation. S’il n’est plus besoin, aujourd’hui, de mettre en avant une technique désormais banale – et à tendance énergivore – émerveiller le public reste d’actualité.
Un enchantement visuel et musical
Réglant tous les paramètres visuels, de la mise en scène aux décors et costumes, sans oublier les lumières, Ezio Toffolutti a choisi un habile carton-pâte, poétique et plus dépoussiéré qu’on ne pourrait le croire. L’âtre de la cheminée baigne certes dans des pastels délicats, mais la garde-robe des sœurs de Cendrillon, comme de la marâtre, Madame de la Haltière ne manque pas de piquant ironique. Les robes réduites à leurs paniers les figent dans une situation de cabinet d’essayage qui résume leur acariâtre insatisfaction. L’intervention de la Fée, poudrée comme l’Idole dorée de La Bayadère, sur fond d’une pastorale nocturne avec lune musant dans les feuillages, frémit de magie délicate, tandis que la neurasthénie d’un Prince qui se cache sous ses couvertures palpite d’humour. Soutenue par les acrobaties chorégraphiques d’Ambra Senatore, cette Cendrillon se révèle aussi rythmée que délicate.
Et les oreilles ne sont pas laissées de côté. Dans le rôle-titre, Rinat Shaham séduit par la sensibilité d’un mélange de timidité et de solide foi dans sa destinée rêvée. Voix également homogène dans une alchimie idéale entre adolescence et androgynie, Julie Robard-Gendre incarne un Prince de belle tenue, balançant entre indolence mélancolique et intensité amoureuse. D’une diction impeccablement narrative, François Le Roux confère au père, Pandolphe, toute la sympathie d’un époux dépassé par les caprices de sa femme, Madame de la Haltière, aux aigreurs campées avec saveur par une inimitable Rosalind Plowright. Marie-Bénédicte Souquet et Agathe de Courcy forment une paire de petites pestes haute en couleur. Quant à la Fée, Marianne Lambert en illumine la surnaturelle légèreté par son exquis babil, aérien et fruité, sans jamais altérer l’intelligence des paroles chantées. On saluera les choeurs, préparés par Xavier Ribes, et la direction de Claude Schnitzler, irrésistiblement complice avec le plateau. Une authentique réussite, qui n’a pas besoin de l’alibi de la modernité pour respirer une fraîcheur bienvenue en ces temps parfois troublés.
Par Gilles Charlassier
Cendrillon, Massenet, Angers Nantes Opéra, novembre-décembre 2018