C’est avec une histoire que l’on pourrait malicieusement qualifiée de « locale » que l’Opéra des Flandres ouvre sa saison. L’action du Lohengrin de Wagner – et de sa principale source littéraire, le poème de Wolfgang von Eschenbach – se déroule en effet à Anvers. C’est cependant Gand qui aura la priorité de la nouvelle mise en scène commandée à David Alden, et dont on avait, entre autres, apprécié dans ces mêmes murs une Khovantchina dirigée par Dmitri Jurowski. Au demeurant, cette coproduction avec Covent Garden – qui l’a présenté au printemps dernier – ne se confit pas dans le folklore brabançon.
Avec la complicité de Paul Steinberg, l’intrigue est sortie de son contexte moyenâgeux. Le décor plutôt habile d’immeubles en brique rouge sur le point de s’effondrer qui ne jureraient pas dans le New York natal du metteur en scène et le maquillage de « gueule cassée » à la Otto Dix du héraut royal évoquent une cité industrielle certainement frappée par la crise d’un entre-deux-guerres où fascisme et nazisme ont prospéré. Si cette relecture historique n’a rien de nouveau, le travail scénographique, rehaussé par les lumières d’Adam Silverman, ne manque pas de maîtrise et d’efficacité. La statue à l’effigie du cygne du Graal ressemble à s’y méprendre à l’aigle du blason pangermaniste venu du Saint-Empire médiéval quand les motifs des bannières entretiennent une troublante parenté avec quelque motif graphique du Troisième Reich, et c’est Ortrud, la païenne plongée dans la sorcellerie, qui fait tomber ces symboles, brouillant astucieusement le manichéisme apparent de l’ouvrage, quitte à multiplier les pistes de lecture.
Lohengrin rattrapé par l’histoire allemande
Dans ce spectacle au fond visuel, avant d’être discours intellectuel, c’est d’abord la baguette du nouveau directeur musical de la maison flamande, Alejo Pérez, que l’on retiendra, et tout particulièrement le cisèlement lyrique des pupitres, de l’harmonie notamment – mais on pensera également à la générosité équilibrée du violoncelle solo – compensant des cuivres à la puissance parfois un peu rustique, et un lit de cordes que le célèbre Prélude aimerait vraisemblablement plus éthéré.
Côté voix, la méforme de Liene Kinča a été palliée par Barbara Haveman, Elsa aux moyens évidents, et au timbre plus opulent que l’innocence attendue. Cet écart avec les archétypes consacrés se retrouve dans le Lohengrin confié au bronze vaillant mais passablement rustre de Zoran Todorovitch, seul soliste de la distribution, avec le Roi Henri noble, à l’autorité un peu discrète, sinon éprouvée, de Thorsten Grümbel, à ne pas être en prise de rôle. L’éclat vigoureux du héraut de Vincenzo Neri dame aisément le pion au souverain. Craig Colclough résume un solide Telramund, plus tourmenté que raffiné peut-être. Mais c’est l’Ortrud ample et vengeresse campée par Iréne Theorin qui domine le plateau. Authentique soprano dramatique, elle n’a pas besoin d’accuser le trait pour faire la noirceur et les calculs jaloux de son personnage : les ressources naturelles de sa voix suffisent. Chevaliers et écuyers confiés à des chanteurs de l’International Opera Academy de Gand et choeurs préparés par Jan Schweiger complètent le tableau. Un Lohengrin de bonne tenue, au-delà des menues inégalités.
Par Gilles Charlassier
Lohengrin, Wagner, Opéra des Flandres, Anvers, octobre 2018