A rebours des missionnaires de l’avant-garde autoproclamés, l’Opéra de Liège assume un respect des œuvres qui ne craint pas de paraître traditionnel. Le Trouvère réglé par Stefano Vizioli que la maison wallonne met à l’affiche en ouverture de saison ne le contredira pas. Si la lecture du metteur en scène italien, dont on peut régulièrement apprécier le travail l’été dans le théâtre gallo-romain de Sanxay, ne s’aventure pas dans d’inutiles iconoclasmes, elle démontre une évidente maîtrise scénographique. Avec le concours d’un savoir-faire éprouvé dans la pose lyrique, le dispositif de double escalier réversible dessiné par Alessandro Ciammarughi résume efficacement les lieux successifs de l’intrigue – le château, le camp de gitans, le cloître, la prison. Plutôt qu’un improbable réalisme, c’est une mise en valeur de la puissance des symboles et des sentiments archétypaux qui est privilégiée, à juste titre, en s’appuyant sur les ressources évocatrices des lumières réglées par Franco Marro. Le rouge suggère ainsi autant la flamme du bûcher et de la passion que le sang de la vengeance – et de la fraternité ignorée. En somme, un spectacle plus héroïque que psychologique, au diapason d’un livret rocambolesque.
Prima la musica
Sous la houlette de Daniel Oren, qui connaît son Verdi sur le bout de la baguette, et privilégie la fougue du drame, le plateau fait honneur aux oreilles. S’il ménage peut-être un peu ses moyens à son entrée, Fabio Sartori réserve un Manrico solide, qui sait faire palpiter les émotions et l’orgueil gitan du Trouvère. Yolanda Auyanet, également invitée pour la première fois sur la scène liégeoise, déploie la séduction et les tourments d’une Leonora à la fois robuste et sensible. Bien connue pour ses rôles de mezzo avant de s’essayer à des emplois de soprano lyrique et dramatique, Violeta Urmana revient à sa tessiture instinctive avec une Azucena généreuse qui fait forte impression, et donne une belle consistance aux ressassements d’une fille et d’une mère marquée par le destin. En Conte di Luna, Mario Cassi nuance avec justesse la carapace monolithique à laquelle on réduit parfois la brutalité de l’amant éconduit. Parmi les comprimarii, Luciano Montanaro ne démérite aucunement, quand Julie Bailly marque la bienveillance d’Inès, la suivante de Leonora. Le reste des interventions sont puisés dans les effectifs des choeurs, préparés par Pierre Iodice.
Si cette ouverture de saison prend le parti du grand répertoire, la dédicace de ces représentations de septembre à la mémoire de Claudio Scimone, qui a entre autres, en pionnier, défendu la musique baroque italienne et redécouvert nombre de Rossini méconnus, ne doit pas faire oublier la diversité et la curiosité de la saison liégeoise, avec, tout prochainement en octobre, Il matrimonio segreto de Cimarosa, et d’autres belcanto au printemps, en dehors des sentiers battus de Lucia ou Norma.
Par Gilles Charlassier
Le Trouvère, Verdi, Opéra de Wallonie, Liège, septembre 2018