Creuset reconnu de l’innovation, sinon de l’avant-garde, tant au regard de sa programmation que de ses productions, l’Opéra des Flandres met parfois à l’épreuve les conceptions scénographiques plus traditionnelles. Tel est le pari d’Aviel Cahn, en invitant Michael Hampe, gloire des planches des années soixante-dix et quatre-vingt et ami de longue date du directeur de l’institution flamande, à proposer sa lecture de l’ultime opéra de Mozart, La Clémence de Titus. Placée sous le signe de l’antique, celle-ci ne chercher pas à transposer la lettre du livret de Mazzolà, adaptant une célèbre pièce de Métastase qui a nourri maints compositeurs au dix-huitième siècle. Avec la complicité des décors et costumes de Germán Droghetti, le spectacle mêle habilement le néo-classicisme architectural en cour à l’époque de la création de l’oeuvre avec une mode vestimentaire bigarrée, entre la presque contemporaine ère napoléonienne et des réminiscences plus proches du fascisme, le tout affichant une élégance néo-viscontienne. A la maquette du Capitole en fond de scène, abîmé par les flammes et les cendres au second acte, répond ainsi un vestiaire qui réactualise sans la trahir la méditation sur l’histoire romaine : plutôt que reconstitution de carton-pâte, il s’agit d’une restauration onirique qui réinvente une illusion visuelle cohérente. Rehaussé par les lumières de Hans Toelstede, l’ensemble ne heurte pas les archétypes, sans toutefois parvenir à les animer vraiment.
Un chef iconoclaste
C’est qu’une telle conception, exposée à un relatif risque de statisme, suppose une certaine aura des interprètes. Certes les solistes réunis n’en sont pas dépourvus, en particulier le Sesto d’Anna Goryachova, qui domine largement le plateau. Son mezzo charnu allie admirablement puissance vocale et sensibilité musicale. La plénitude des moyens n’oublie jamais la finesse de l’incarnation, et donne une belle crédibilité aux tourments du confident de l’empereur. Autre personnage travesti, que certains ont eu, récemment, la tentation de confier également, comme pour Sesto, à un contre-ténor, Annio revient à la sympathique Cecilia Molinari, honnête quoiqu’un peu pâle. Anat Edri fait résonner le babil léger de Servilia, sans lui donner plus de consistance que nécessaire. En Vitellia, Agneta Eichenholz compense par une indéniable fièvre théâtrale une virtuosité d’écriture qui la dépasse parfois. Le résultat ne manque pas de présence, même si celle-ci reste passablement en surface, et ne creuse pas réellement la complexité psychologique de l’ambitieuse prétendante. Membre du Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres, Markus Suihkonen, que l’on a régulièrement entendu cette saison, épargne à Publio les stigmates de l’âge dans lesquels on confit trop souvent le capitaine de la garde impériale. Quant à Lothar Odinius, le seul à ne pas être en prise de rôle, son solide Tito, imitant plus d’une fois la pose de son homonyme yougoslave, ne fait pas toujours oublier l’ingratitude du timbre et de certaines vocalises. On saluera les choeurs préparés par Jan Schweiger, tandis que, placé sous la baguette énergique et iconoclaste de Stefano Montanari, l’orchestre flamand fait ressortir une évidente et vivifiante plasticité dramatique, au risque de brusquer parfois les couleurs de la partition, en particulier dans les ensembles. C’est à la fosse qu’il revient de secouer les traditions.
Par Gilles Charlassier
La Clémence de Titus, Mozart, Opéra des Flandres, mai 2018