A la veille de Halloween, la Californie célèbre l’orchestre, et pas seulement ses propres phalanges. A Los Angeles, le LA Philharmonic ose, pour le dernier week-end d’octobre, une judicieuse association entre Berlioz et Luca Francesconi, compositeur italien contemporain dont l’Opéra de Paris a créé Trompe-la-mort au printemps dernier, quelques années après le remarquable Quartett à La Scala. A la baguette, Susanne Mälkki éclaire les affinités entre deux musiciens sensibles au chatoiement des timbres. Dans le Scherzo de la Reine Mab, tiré de Roméo et Juliette, qui ouvre le concert, elle dose savamment le frémissement aéré des textures. C’est une approche semblable de la pâte orchestrale que fait valoir Duende – The Dark Notes, donné pour la première fois aux Etats-Unis, confirmant au passage la place privilégiée que tient la scène californienne dans la création musicale Outre-Atlantique. A rebours de ce que le titre, inspiré par le flamenco, pourrait suggérer, la pièce de Francesconi déploie, au fil des cinq mouvements, des évanescences et une souplesse éthérée portées par l’archet fluide et élégant de Leila Josefowicz. A trop vouloir chercher des sonorités indicibles, la partition confine parfois à une transparence expressive, qui, pour le moins, réussit à suspendre la perception du temps, sans renoncer à une écriture hautement virtuose où s’illustrent les pupitres angelins.
Après l’entracte, la Symphonie Fantastique en confirme l’excellence, restituant le foisonnement du chef-d’oeuvre de Berlioz avec une admirable clarté, sans jamais se laisser aller à l’emphase. Depuis la poésie des Rêveries initiales et de l‘Adagio, où se distingue le solo du cor anglais, après un Bal enlevé, jusqu’à la Marche au supplice et la Nuit de sabbat, c’est une vitalité sensible et déliée qui porte l’ensemble de la symphonie, et fait entendre un génie français que le Walt Disney Hall mettra à l’honneur également dans deux semaines, avec un concert Ravel sous la houlette de Charles Dutoit, accompagnant Jean-Yves Thibaudet au piano dans le Concerto en sol, avant, quelques jours plus tard, un programme baroque défendu par Emmanuelle Haïm.
Inimitable Schubert
Le lendemain, veille de la fête des citrouilles, l’Israël Philharmonic Orchestra en tournée est emmené par Zubin Mehta. Après une mise en bouche cinématographique par la Suite de Footnote, où Amit Poznansky compile la musique qu’il a écrite pour le film de Joseph Cedar, évocation agréablement narrative, le Troisième Concerto pour piano de Beethoven offre à Yefim Bronfam une tribune à son art personnel. Tout aussi personnelle résonne l’approche de Zubin Mehta dans la Neuvième Symphonie de Schubert. Au-delà du traitement des couleurs de l’orchestre, avec une répartition inhabituelle des pupitres qui favorise des éclairages originaux sur la trame instrumentale, c’est le traitement des tempi qui surprend, émondant les contrastes entre les mouvements. Après un Allegro ma non troppo d’une belle rondeur, l’Andante con moto assume l’allant d’une ballade très pastorale, teintée à la fin d’une touche de mélancolie qui n’en ressort qu’avec plus de délicatesse. Le Scherzo évite de même les aspérités rythmiques, avant un finale dans la continuité de cette homogénéité du souffle poétique.
Cap sur San Diego
A trois heures de train et deux cents kilomètres de là, San Diego et sa baie légendaire attend un nouveau complexe pour accueillir son orchestre, le San Diego Symphony, actuellement en résidence dans un building du centre-ville, moins glamour que le projet, visible aujourd’hui en maquette – ce qui occupe agréablement l’entracte. En cette fin octobre, la formation invite Cristian Macelaru dans une soirée réunissant le Romantisme et un compositeur d’aujourd’hui, Wynton Marsalis, Après, en guise de roboratif apéritif l’arrangement que Fritz Hoffmann a réalisé de la Première Suite tirée par Bizet lui-même de son opéra Carmen, le Concerto pour violon de Marsalis est défendu par Nicola Benedetti. Indifférente aux querelles de la modernité, la page n’hésite pas à puiser dans le patrimoine musical américain, entre une Rhapsody ou un Blues, caressant l’auditeur dans le sens de la séduction mélodique. En seconde partie de soirée, le poème Shéhérazade de Rimsky-Korsakov la décuple dans une ivresse où s’abandonnent sans réserve le chef et ses musiciens. La musique est un art à consommer sans modération, même à deux pas du sable fin.
Par Gilles Charlassier
Los Angeles Philharmonic, Israël Philharmonic et San Diego Symphony, octobre 2017