Ceux qui m’aiment prendront le train…Eh oui, c’est à Bordeaux qu’il faudra vous rendre pour voir Les Enfants Terribles, adaptation très réussie du roman de Jean Cocteau, opéra créé à Zug, en Suisse, en 1996. Avec, à l’arrivée, l’occasion de démentir vos préjugés. Car, si vous avez toujours pensé que l’opéra, c’était grand orchestre et fortes voix, ou que la musique contemporaine était trop difficile pour vous, vous pourrez avec cet opéra réviser vos jugements.
Ecrite par Philip Glass, la partition constitue un cas exemplaire d’ « anti-opéra ». Composée de thèmes et de rythmes répétitifs, la musique vous plonge dès les premières notes dans un climat hypnotique et intimiste. Dans la fosse, trois pianos seulement, mais une puissance qui n’a rien à envier à des formations plus vastes, et supporte la narration de ce conte tragique.
Elisabeth et Paul vivent à Paris avec leur mère souffrante, dont la sœur a la charge – eh oui, ce sont toujours les filles qui aident à la maison. A la suite d’un banal lancer de boule de neige de la part de son condisciple Dargelos, auquel il voue une admiration éperdue, Paul tombe malade. Après la mort de leur mère, Elisabeth trouve du travail auprès d’un couturier, où elle fait la connaissance d’Agathe, une autre orpheline, puis épouse Michael, un riche juif américain. Devenue veuve à la suite d’un accident de voiture, la jeune femme se retrouve seule dans la grande demeure qu’il lui a léguée. Le huis clos se resserre : manipulant les sentiments qu’Agathe et Paul éprouvent l’un pour l’autre, mais qu’ils n’osent s’avouer, Elisabeth, ne voulant laisser son frère lui échapper, l’encourage à boire le poison que Gérard ramène d’un de ses voyages exotiques, avant de le rejoindre – pour l’éternité.
Tels une voix off, les chanteurs-acteurs, presqu’aussi jeunes que les personnages, déclament cette histoire d’amour et d’autodestruction, et font penser aux comédiens du film réalisé par Jean-Pierre Melville en 1950. La mise en scène de Stéphane Vérité saisit d’emblée l’atmosphère particulière du drame : à l’aide de projections vidéographiques, elle sculpte, avec un sens remarquable de l’épure, les cadres successifs où il se déroule, de l’extérieur enneigé de la première scène, à la demeure vaste et vide héritée par Elisabeth, en passant par la chambre des enfants, tapissée de couvertures de magazine des années cinquante. Une heure et demie plus tard, on regrette la fin de ce bel exercice qui offre enfin au génial touche à tout qu’était Cocteau une scène d’opéra. N’est ce pas la preuve d’une réussite?
GMC
Au Grand-Théâtre de Bordeaux jusqu’au 24 novembre puis tournée en Aquitaine