Chère Sophie,
Vous aviez un visage d’ange comme celui d’Anna, cette jeune fille de 18 ans à laquelle prêtait ses traits Galeata Bellugi dans le très beau film de Xavier Giannoli, l’Apparition, sorti en février dernier. Anna avait vu la Vierge Marie et devait mourir de cela. Vous, vous aviez juste envie à 21 ans de découvrir Londres, de vous occuper d’enfants avec votre CAP petite enfance et d’apprendre l’anglais dans cette capitale que les français aiment tellement, l’exotisme à trois heures de Paris. Y manger des fish and chips comme vous l’avez fait; Michaël qui vous les a vendus avait alors voulu vous aider devant votre maigreur et votre visage boursouflé par les pleurs. Il était là comme chaque jour à l’entrée du métro voisin de la maison cossue estimée à plus d’un millions d’euros de la banlieue de Wimbledon où vous aviez été prise comme jeune fille au pair. Vous avez refusé son aide, peut- être ayant déjà glissé de l’autre côté. « Il faut réparer les vivants et enterrer les morts » a écrit Tchékhov. Vous enterrer, vos parents n’ont pu encore le faire, votre corps ne leur ayant toujours pas été rendu, depuis qu’un soir de septembre 2017, vos employeurs ont allumé un feu dans leur jardin pour vous faire disparaitre. Ils sont aujourd’hui jugés pour vous avoir battue, confisqué vos papiers, fait dormir dans un lit de camp dans la chambre de leurs deux enfants, payé moins de 50 euros par mois dans une des villes les plus chères du monde et manipulé psychologiquement jusqu’à l’abîme.
Autant de maltraitances dont l’énoncé fut tellement insoutenable que le président de la cour criminelle de Londres a du interrompre l’audience au bout de deux heures à la lecture de l’acte d’accusation. Votre père et votre mère, Catherine Devalloné ne pouvaient en supporter davantage. Ils sont venus la veille de Sens grâce à une collecte, le billet d’Eurostar étant trop cher pour qu’ils puissent se l’offrir. Y passeront-t’ils cinq semaines, la durée annoncée du procès de vos tortionnaires? Une certitude: on ne les croisera pas, à l’inverse des millions de touristes qui s’y rendent chaque année, chez Harrods, ce hall de gare vulgaire dédié au consumérisme ni pour voir la relève de la garde à Buckingham Palace.
Non, chère Sophie, vos parents rentreront chaque soir dans un hôtel sans doute sordide- ils sont tellement chers dans cette capitale où le français moyen a l’impression de venir d’un pays du tiers monde- sachant désormais que votre cadavre calciné a révélé « des fractures au sternum et à la mâchoire, quatre côtes cassées, des hématomes au bras gauche, au dos et à la poitrine « ; que des vidéos de plus de huit heures retrouvées sur les portables de vos bourreaux vous montrent interrogée et menacée de « prison, de viol et de violence ». Vous y apparaissez « émaciée, terrifiée et sans défense ».
Chère Sophie, vous auriez été ma fille, j’aurai tué de mes deux mains ce couple qui vous a ôté la vie. Et puis je vous aurai rejointe, dans cet ailleurs où vont les anges. En attendant que justice soit faite.
Par Laetitia Monsacré