C’est peut-être un simple hasard de calendrier si, quelques semaines après les fêtes de fin d’année, traditionnellement familiales, sortent deux films autour de la cellule sociale nucléaire. Premier long-métrage de Jan Matuszynski, The last family ne ne contente pas de reconstituer le destin de Zdzislaw Beksinski, un célèbre peintre polonais, mort assassiné par un adolescent en 2005 – ce qui sera le dernier plan du film. En plongeant dans la famille passablement névrosée de l’artiste, avec un fils, Tomasz, toujours en difficulté d’adaptation, jusqu’à se suicider, le réalisateur réussit à faire de ce presque huis clos un panorama de la Pologne de la fin des années 70 au début des années 2000. Tirant parti du goût de Beksinski pour le caméscope, captant sans relâche sa vie quotidienne, le film intercale des bandes vidéos, comme autant de traces brutes, tandis qu’un sens aigu du détail rappelle que le Coca Cola avait déjà imbibé le régime communiste à l’ère de Solidarnosc, avant que la junk food ne devienne le menu régulier du peintre veuf.
A la fois témoignage intime et parabole de la fin d’une époque où, avec les générations disparaissent les traditions comme la cuisine familiale, The last family démontre une maîtrise esthétique qui dépasse l’exercice de style, et se confirme dans le regard sur les toiles autant qu’une bande sonore particulièrement intelligente et ciselée. La mosaïque hétéroclite de bribes de symphonies de Mahler comme de rock relève d’un travail d’orfèvrerie mélomane et expressive, qui magnifie la justesse de la caméra, et une direction d’acteurs très sensible aux fragilités des êtres et à l’incommunicabilité du mal de vivre. Avec en plus les incarnations magistrales d’Andrzej Seweryn dans le rôle du patriarche artiste, d’Aleksandra Kownieczna, en épouse et mère dévouée, et David Ogrodnik, le fils traversé de tocs, on a là une remarquable plongée dans la folie ordinaire, imbibée d’une mélancolie aussi diffuse que captivante.
Incarnations magistrales
Cette justesse de moyens pourtant très hétéroclites contraste avec le maniérisme de Gaspard va au mariage d’Alain Cordier. A la suite d’un hasard aussi peu réaliste que le petit train à destination de Limoges trop vintage pour être contemporain, sans compter l’incohérence d’un bar à bord inconnu des lignes régionales, Gaspard va demander à Laura, croisée sur la voie au milieu de militants écologistes, de l’accompagner aux nouvelles noces de son père, propriétaire d’un zoo au cœur du Limousin, prétexte en réalité pour le frère de rappeler le héros afin de solder l’affaire familiale, dans l’impasse financière, en même temps que des relations parfois troubles, en particulier avec une petite sœur vivant sous la peau d’un ours. Plus baroques que l’intrigue, les personnages se révèlent très attachants, dans cette tribu excentrique un peu à l’écart du monde. Et c’est indéniablement la présence de Felix Moati, Laetitia Dosch, Laura qui prend les sentiments à rebrousse-poil, ou Christa Théret, Colline lunaire, qui fait le prix d’un film pastichant parfois la nouvelle vague et noyé dans une musique un peu mièvre.
La madeleine Alice
Pour les soirées avec les enfants, on pourra goûter sans modération le deuxième volet des Alice Comedies restaurées. Le trait vif et fantaisiste des premiers Disney enchantera petits et grands, avec des histoires imaginatives, sans censure réaliste et sentimentale, et un décalque photographique de la jeune Alice, espiègle et rêveuse. Des petits bijoux d’animation accompagnés par des créations musicales agréables, au parfum très ensoleillé, quoique sans doute moins inventives que les dessins eux-mêmes.
Un dernier mot enfin sur un film d’auteur, Vivir y otras ficciones, de Jo Sol, qui traite du difficile sujet de la demande d’autonomie des personnes malades et handicapées, jusque dans la jouissance de leur propre corps, moyennant l’appel à des assistantes sexuelles. Un peu militant sans doute parfois, par la voix de son personnage central, Antonio, écrivain et tétraplégique, le film s’attache à jeter un autre regard, avec une crudité parfois dérangeante mais jamais misérabiliste, sur ceux que la maladie a laissé sur le chemin de vie. Morale ou liberté, la dialectique éclaire cette Espagne des marges qui parle aussi de la France en dehors des sentiers de la réussite sociale.
Par Gilles Charlassier
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