Oh, qu’elle le méritait son prix d’interprétation à Cannes 2017 Diane Kruger. Cette ancienne mannequin, déjà excellente dans a eu pour la première fois un premier rôle en allemand, sa langue natale,dans le film In the Fade du réalisateur Turco- allemand, Fatih Akin; sans maquillage, incapable de lire sans lunette, tatouée, elle est tout simplement magnétique dans ce rôle de Katja, une mère qui revenant du sauna, un moment de détente avec sa meilleure amie enceinte et célibataire, découvre que son mari kurde, Yuri et leur fils de cinq ans viennent de périr dans un attentat qui les a rendu non identifiables. Elle a vu en les quittant une jeune fille blonde laissait un vélo neuf avec un top case devant… Rapidement, le crime nazi s’impose; ce qu’elle avait de plus cher vient de mourir faute pas de chance, dans ce quartier à majorité turque de Hambourg. Les heures qui suivent sont filmées avec une justesse qui impose sans ménagement l’empathie au spectateur. On est cette femme, perdue, entourée de ces proches, qui donne les brosses à dent de son mari et de son fils à la police pour les test ADN, puis avance dans le magasin pour choisir les cercueils; celui ci pour Yuri , celui là, un petit blanc pour Rocco, leur garçon.
Rien à perdre
Que reste t’il à faire lorsque votre belle famille vous reproche de ne pas avoir su veiller sur eux? Que votre famille vient de brûler au sens propre du terme? Que vous ne pouvez plus exercer le métier que vous aviez; celui de « lutter »- de mère. S’ouvrir les veines? Fumer des joints, prendre de la drogue pour supporter les interrogatoires à charge de la police qui suspecte un règlement de compte entre dealeurs, son mari ayant fait de la prison pour possession de drogue?
Diane Kruger fera les deux avant qu’on lui annonce que les coupables viennent d’être arrêtés. Elle supportera alors tout « le blabla » de la Cour, les sourires des deux jeunes assis, les faux témoignages et la description médicales de ce que son fils a subi, ses yeux qui ont brûlés, ses membres arrachés jusqu’à ce que la justice montre violemment ses limites. Alors, elle saura ce qui lui reste à faire avec une fin digne des plus grands films.
La caméra de Fatih Akin est d’une sensibilité et d’un intelligence extrême; Diane Kruger est de tous les plans, suffocante, haletante, au bord de l’abîme où elle emmène le spectateur sans jamais verser dans le pathos. On en sort sonné, hagard, avec la certitude d’avoir vu un des meilleurs films de cette rentrée, à l’image de 3 Billboards, les panneaux de la vengeance de l’anglais Martin MacDonagh qui a valu à une autre très grande actrice, Frances Mac McDormand de recevoir le Golden Globe ( l’antichambre des Oscars) pour son interprétation, il est vrai au cordeau, de mère bourrée de haine à la suite du viol et du meurtre de sa fille.
Une boule de haine
Le rythme est ici celui du Middle West, avec un film de plus de deux heures qui prend son temps comme une chanson de country. Malgré une musique de temps un temps un peu trop omniprésente, c’est une remarquable histoire de rédemption pour Milred, une mère qui n’a, elle aussi, plus rien à perdre. Une boule de haine froide qui loue les trois panneaux publicitaires à la sortie de sa petite ville du Missouri pour dénoncer l’inaction de la police, citant nommément leur chef, l’inspecteur Willoughby, interpreté par Woody Harrelson. Alors, lorsque celui-ci se suicide (il est atteint d’un cancer en phase terminale), Milred devient une pestiférée. On brûle ses panneaux comme on le faisait pour les noirs du temps du Ku Klux Klan ( la scène où elle tente d’éteindre le feu est envoûtante) tandis qu’un flic, brebis galeuse, commet les pires violences sur ceux qui l’aident. Dès lors, elle punira à son tour par le feu, lançant rageusement des cocktails molotov sur le commissariat. « Plus rien à perdre », sa colère est sans limite; elle s’y noie avant de réaliser que « la haine apporte la haine », une prise de conscience concomitante à celle du flic renvoyé qui, lui, se noie dans l’alcool.
Ces deux là sauront se retrouver dans une scène finale qui ouvre tout le champs de tous les possibles. Car là où In the fade conclue dans la violence, 3 Billboard choisit de le faire avec sérénité, avec ce point commun au deux films: s’adresser au spectateur en pariant sur son intelligence. Voilà qui est toujours très plaisant…