L’originalité et l’innovation sont en résidence à l’Opéra des Flandres depuis de nombreuses années, et la direction artistique d’Aviel Cahn l’illustre régulièrement – ce dont Jim se fait d’ailleurs l’écho. L’ouverture de cette saison ne dément pas cette aura d’inventivité dans la programmation, en mettant à l’honneur un ouvrage que Korngold considérait comme son chef d’œuvre, Das Wunder der Heliane, Le Miracle d’Heliane, rapidement tombé dans l’oubli après sa création, en 1927, avant d’être redécouvert ces dernières années. Gand, où la nouvelle production commandée à David Bösch s’est d’abord jouée avant d’aller à Anvers, fait figure d’éclaireur, puisque l’ouvrage y avait fait une apparition sans lendemain en 1970.
Inspiré par une pièce de Kaltneker, l’opus, composé à l’heure des premiers spasmes des totalitarismes du vingtième siècle, renouvelle la traditionnelle rivalité amoureuse qui nourrit une grande partie du répertoire lyrique. Située dans l’indétermination de temps et de lieu propre à la fable, l’intrigue décrit les aventures d’un Étranger qui apporte la joie de vivre dans un pays dominé par un tyran interdisant le bonheur à son peuple tant que son épouse se refusera à son amour. Condamné à mort, il sera sauvé par un miracle – involontaire – d’Heliane, la reine, éprise de l’inconnu.
Plutôt que de souligner les implications politiques et religieuses sous-jacentes dans le livret, véritable maelström expressionniste et post-romantique, David Bösch plonge l’histoire dans la poussière de quelque apocalypse, avec le concours des décors et des costumes souvent haillons dessinés par Christof Hetzer, sans trop céder à l’érotisme vénéneux induit par le texte. Les éclairages de Michael Bauer rythment efficacement les ruptures dramatiques, et participent de la caractérisation des personnages.
Un défi pour les interprètes
Car, c’est bien la musique, opulente, et défi redoutable pour les interprètes, qui frappe le spectateur. Dans le rôle-titre, Ausrine Stundyte, que l’on avait entre autres entendue ici à Anvers en Vénus dans Tannhäuser, se montre égale à sa réputation, et brûle littéralement les planches, quitte à malmener sa voix. En Étranger, Ian Storey, ténor au format wagnérien, ne se ménage aucunement dans une partie à peine moins inchantable que le Paul de La Ville morte du même Korngold, ou Bacchus dans le straussien Ariane à Naxos – le deuxième acte lui permet de reprendre son souffle de manière un peu sensible. Troisième figure imposante du plateau, Tómas Tómasson affirme l’autorité écrasante du souverain, sans chercher à émousser la rudesse de son incarnation.
Mais les exigences vocales de la partition ne se limitent pas à ce premier plan. La remarquable entrée du Geôlier par Markus Suihkonen, membre du jeune ensemble de l’Opéra des Flandres, comme le Chevalier à l’épée sans âge de Denzil Delaere, retient l’attention, même si la basse sonne un peu jeune. Natascha Petrinsky réserve une admirable Messagère, au timbre sombre et charnu. Outre le jeune homme campé par Dejan Toshev, on applaudira également six chevaliers et les deux voix séraphiques nimbant la salle de mystère, ainsi que les chœurs (adultes et enfants) préparés par Jan Schweiger et Hendrik Derolez. C’est enfin la baguette du directeur musical, Alexander Joël, qui mérite éloges, déployant les ivresses orchestrales de la partition, tout en veillant à des équilibres presque impossibles en fosse, comme avec les solistes. Une belle redécouverte.
Par Gilles Charlassier
Das Wunder der Heliane, Gand et Anvers, septembre et octobre 2017