Bérézina à gauche. Bérézina à droite. Emmanuel Macron doit se réjouir après ce premier tour. La République En Marche est en passe d’obtenir une majorité écrasante presque totale à l’Assemblée Nationale. Il fallait les voir dimanche soir, mines réjouies et se parant d’humilité, tous ces candidats macronnistes, prêts à envahir le Palais Bourbon. Il fallait les voir célébrer leur antienne du renouveau, du changement, d’une nouvelle façon de faire de la politique et de gouverner. Il fallait les voir tresser des louanges au Président de la République et au Premier ministre. Oui il fallait les voir se régaler de faire basculer tant de ténors dans les ombres d’un ancien monde désormais révolu. Bref tout était beau, agréable, presque logique dans leurs discours. Les éléments de langage avaient été bien appris – « humilité », « modernité », « ce n’est qu’un premier tour », « les français ont choisi le changement », « les français ont clairement choisi d’accorder leur confiance au Président de la République » – et tout au long de la soirée il n’a été question que de leur victoire assurée. Ils ont refusé de répondre à toutes les questions d’ordre programmatique, renvoyant les impétrants qui oseraient les interroger à des querelleurs revanchards et aigris. C’est d’ailleurs la méthode suivie par le couple exécutif depuis son installation : refuser tout débat !
Un message unique
Pour quoi faire d’ailleurs ? Et puis débattre de quoi ? Il n’y a pas matière à débat puisque les français sont d’accord avec nous. Voilà en substance le ton de la soirée. Une soirée monocorde, unique, sans relief. Emmanuel Macron a réussi son pari: son parti est hégémonique et le reste de la planète politique française s’apparente à un champ de ruines. L’assemblée élue dimanche prochain ne sera qu’une chambre d’enregistrement, réduite à une obéissance absolue au chef de l’Etat à qui elle devra son élection. Mais une fois encore, le casting sera beau. Eliminés les vieux de la vieille, éliminés les anciens barons, la volonté égotique d’un seul homme aura donc fait table rase de vingt ou trente ans d’histoire politique. Il y aura des jeunes, des femmes, des experts, de la société civile, quelques rescapés tout de même, des entrepreneurs, des militants associatifs, des quadras, des quinquas, des bobos, des transfuges. Oui, la nouvelle France, celle qui est de retour pour citer Edouard Philippe, sera là, prête à gouverner. Qu’elle manque d’expérience, rien de grave ! Après tout, on ne lui demandera que de ratifier les décisions prises par l’exécutif. Oui Emmanuel Macron est en passe de réussir son pari, avoir les mains libres pour gouverner et donner l’illusion d’un renouveau. En réalité, la démocratie française est moribonde, dans une grave crise de conscience mais il est indélicat d’en parler ! Indélicat voire impoli. Parce que ça gâche le plaisir. Evoquer les plus de 50% d’abstention relève du crime de lèse-majesté. Il n’y a qu’un message à retenir : la modernité est en marche et le reste n’a pas d’importance. Non ce qu’il est juste et convenable d’évoquer c’est la fin de cet ancien monde. La fin du Parti Socialiste, la situation d’une droite subclaquante, un Front National réduit à la portion congrue et une France Insoumise à l’écho bien faible dans l’électorat. Une majorité unique, un message unique, une politique unique. Les français n’ont pas le choix, soit ils marchent, soit ils perdent.
Le PS, une défaite historique
Eux ils ont perdus. Mais les socialistes commencent à avoir l’habitude des raclées électorales. La soirée dantesque d’hier n’était pas la première de leur longue histoire. Et les commentateurs se sont eux aussi régalés à leur rappeler des souvenirs douloureux. C’était il y a vingt-quatre ans, un dimanche soir de mars 1993. Michel Rocard, Lionel Jospin, Roland Dumas et tant d’autres poids lourds socialistes étaient balayés par la vague bleue RPR-UDF qui allait conquérir plus de 480 sièges. La gauche socialiste avec une petite cinquantaine de députés s’apparentait à un cadavre à peine tiède. C’était il y a quinze ans, un dimanche soir de juin 2002. Martine Aubry, gorge nouée d’émotion et larmes au coin des yeux venait annoncer face caméra sa défaite au second tour des élections législatives. Après cinq ans de gouvernement Jospin la gauche socialiste était lourdement sanctionnée par une droite triomphante qui, toute tendances confondues, allait obtenir près de 400 députés. C’était donc hier soir, un dimanche soir de juin 2017. La gauche socialiste était laminée par une lame de fond, un raz-de-marée, une révolution emportant tout sur son passage. Les caciques ne sont pas réélus. Les unes après les autres, les têtes d’affiche socialistes tombent, guillotinées par un électorat assoiffé de renouveau. Jean-Christophe Cambadélis, Elisabeth Guigou, Matthias Fekl, Benoît Hamon, François Lamy, Jean Glavany, Aurélie Filippetti, Pascale Boistard, Christophe Borgel et tant d’autres à la trappe, à la lourde, victimes du modernisme, des erreurs magistrales du quinquennat Hollande et de l’archaïsme d’un Parti Socialiste qui depuis presque vingt ans s’est refusé à toute remise en cause, à toute réflexion doctrinale et à toute mue idéologique. Le voilà transformé en PASOK grec, à la limite de la disparition totale.
En attendant, bon courage au Président de la République et à son Premier ministre. Bon courage pour diriger et discipliner cette majorité disparate et trop nombreuse. Bon courage pour gérer les velléités d’indépendance de François Bayrou si le Modem arrive à former un groupe autonome à l’Assemblée. Bon courage avec la rue qui ne manquera pas de faire entendre sa voix. Bon courage avec tous leurs opposants, étouffés à l’Assemblée mais prompts à user de toutes les autres tribunes pour dézinguer les décisions gouvernementales. Bon courage pour le second tour, bon courage pour les cinq ans qui arrivent. La tâche se résume à un seul mot : réussir ! Au risque sinon que la prochaine bérézina se soit pour la République en Marche !
Par Ghislain Graziani