4 mars 2017
Boccanegra à l’Opéra de Gand

 
La politique n’a pas attendu Fillon pour être une affaire de famille. En feuilletant le programme du Simon Boccanegra donné par l’Opéra des Flandres à Gand, après Anvers, on tombe sur des photos de  Chirac avec Laurence, Mitterrand et Mazarine ou Clinton et Chelsea, tandis que d’autres pages immortalisent des hémicycles parlementaires ou des luttes politiques parfois violentes, passées et contemporaines. Dans l’opéra de Verdi, vingt-cinq ans plus tard après avoir été élu doge de Gênes, le corsaire Boccanegra retrouve en une certaine Amelia Grimaldi la fille illégitime conçue avec Maria, noble descendante des Fieschi, qu’il croyait avoir perdue ; dans une relation filiale quasi fusionnelle, celle-ci oeuvrera pour la réconciliation des factions rivales qui déchirent la cité.
 
La solitude du pouvoir
 
Plutôt que se laisser porter par les évocations marines qui jalonnent le livret et la musique, David Hermann a choisi de se concentrer sur la  solitude du pouvoir : le héros éponyme apparaît dans un bureau avec vastes fenêtres de style gothique vénitien au milieu des acteurs de son ascension en tenues historiques, comme le souvenir de son élection un quart de siècle plus tôt venant le hanter aux côtés du spectre inconsolable de Maria – qui reviendra plusieurs fois au fil du spectacle. Pour autant, si la scénographie de Christof Hetzer ne recherche pas le reconstitution historique, elle sait jouer de références picturales de la Renaissance, transformant la salle du Conseil en évocation de La Cène de Vinci  où Gabriele Adorno arrive armé comme un légionnaire romain : le message de paix que veux faire passer Boccanegra l’apparente à un Christ auquel ne manquerait pas son Judas, ici Paolo Albiani. Empoisonné par ce dernier, condamné à mort, Simon désignera Adorno comme son successeur et le rideau tombera sur Gabriele assis à la place de son prédécesseur aux côtés d’un double de Paolon (et de son comparse Pietro) faiseur de roi lui tendant les décrets à parapher, symbole de l’éternel retour de la violence politique et de ses complots. Habile dans l’utilisation des moyens techniques du plateau, en particulier de la tournette, la proposition restitue le profond pessimisme de l’ouvrage, mais superpose parfois avec un peu d’artifice la mise en perspective philosophique et théâtrale à l’adaptation intemporelle contemporaine.
 
L’humanité de Nicola Alaimo
 
La distribution fait le pari, réussi, de prises de rôles. Le Simon Boccanegra de Nicola Alaimo dégage une humanité et une aura évidentes, incarnant les remords et l’introspection d’un homme au faîte, mais seul, en tirant parti d’une remarquable richesse harmonique souverainement maîtrisée et jamais démonstrative. En Amelia, Jessica Strong est arrivée la veille de Francfort pour remplacer au pied levé Myrtò Papatanasiu souffrante. Même si l’on pourrait attendre un soupçon supplémentaire d’intensité, on saluera cependant une performance intègre dans des conditions délicates. Le Gabriele Adorno de Najmiddin Mavlynov se distingue par une articulation d’une appréciable intelligibilité et palpite d’une indéniable impétuosité. Liang Li confie à Jacopo Fiesco l’onctuosité paternelle de son timbre, quand Gezim Myshketa résume sans faillir l’avidité et la vilenie de Paolo Albiani. Membres du Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres, Evgeny Solodovnikov et Raehann Bryce-Davis, respectivement Pietro et servante d’Amelia, complètent la tableau aux côtés des choeurs puissants préparés efficacement par Luigi  Petrozziello. Quant à la direction d’Alexander Joel (aucun lien de parenté avec Nicolas Joël), elle s’attache à restituer le dramatisme de la partition, quitte à accentuer des effets que l’Orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres tend parfois à alourdir.
 

Par Gilles Charlassier
 

Simon Boccanegra, Opéra des Flandres, Anvers février 2017 et Gand jusqu’au 9 mars 2017.

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