Il est quinze heures quand j’arrive devant l’hôpital. L’entrée des urgences est indiquée à cent cinquante mètres, où une pancarte vous annonce, que, pour cause de Vigipirate, seule la porte principale est accessible, où un vigile, emploi qui ne connaît pas la crise, vérifie le contenu des sacs, avant de devoir suivre un parcours fléché pour rejoindre le service des urgences : un bâtiment au fond d’une cour, où il ne faut pas confondre l’entrée des ambulances et des secours, avec celle du public.
C’est sans doute l’heure de pointe : dans une salle bondée, on ne distingue plus ceux qui attendent le médecin des malheureux qui doivent encore s’enregistrer. Astucieusement placés dans l’entrée du local, les deux guichets n’ont visiblement pas été conçus pour traiter un afflux supérieur aux capacités administratives. Un nonagénaire debout, qui éprouve des difficultés à rester sur ses deux jambes, accompagné par sa fille, mendie auprès de chacun un passage prioritaire, sans se soucier des quelques sièges encore libres. Une fois le dossier créé, il convient de retourner patienter : un infirmier va venir. On repère les personnes qui étaient juste devant dans la file. Le tour semble proche, à condition de ne pas compter en minutes. Enfin un homme en blouse vous demande : un bracelet, avec les coordonnées de notre dossier, vous est fixé au poignet, et une fois tension et température relevées, remet le patient désormais labellisé dans la salle d’attente, avec un gobelet à remplir. Cela fait bien deux heures que l’on est ici, et le médecin ne saurait tarder : notre prédécesseur d’infortune vient d’en voir un. Pour nous, ce sera un peu plus de soixante minutes après.
L’interne me reçoit, m’examine, prescrit les examens, et me remet à l’attente, mais cette fois je ne suis plus renvoyé à l’extérieur des services : la patience avance. Une autre infirmière prélève le sang, et le jaune et le rouge sont envoyés au laboratoire. Résultats dans deux heures. Sans escompte. Le temps de faire une radio entre-temps, sans urgence. La fatigue commence à poindre en même temps que l’impatience. Les visages voisins changent parfois, d’autres sont sur brancards : on mesure notre sort à cet entre-deux. Il est enfin presque vingt-deux heures quand le diagnostic tombe : il nécessiterait une radio de profil, pour vérification. Au bout d’une ultime rotation de la grande aiguille, où je comprends que la nuit – c’est vrai qu’à trois heures de l’après-midi, je m’attendais à être un malade de nuit – un seul manipulateur s’occupe des radios et du scanner, je demande si cela est bien indispensable, et celui-ci arrive au moment où l’on allait me faire partir. Ce sera finalement à vingt-trois heures trente que je pourrai retrouver ma liberté, non sans avoir patienté une ultime fois à la sortie, que l’agent de permanence revienne. Pour les médicaments, il faudra attendre demain : je n’ai plus la force de chercher une pharmacie de garde à l’heure de Cendrillon.