Si en août, la France est en vacances, la culture ne prend pas pour autant de congés, délaissant Paris et les grandes métropoles pour la mer, le vert et les grands espaces. Point de convergence privilégié des transhumances estivales en quête de soleil, le sud méditerranéen ne se résume pas à ses plages.
Sur le parvis de la basilique Saint-Michel, à deux pas de l’Italie, Menton conjugue cosmopolitisme et musique de chambre sous le lever de lune : dans ce miracle d’intimité, Paul-Emmanuel Thomas, le brillant directeur artistique depuis 2013 de ce festival sexagénaire, met cette édition 2015 sous le signe du violon et invite la sensibilité raffinée de Christian Tetzlaff, Tanja sa sœur violoncelliste et Lars Vogt au piano dans un programme Brahms et Dvorak joué avec une subtilité inouïe, ou encore la grâce de Janine Janssen, que la province entend pour la première fois dans une soirée virtuose et éclectique.
Laissons ensuite l’urbanité de la Côte d’Azur pour La Roque d’Anthéron et ses cigales ou les accents des cigognes accompagnant les soirées lyriques de Peralada, l’un des plus importants festivals d’Espagne à deux pas de la France, dans le pays de Salvador Dali : entre la décontraction provençale où les pianos quittent le Parc de Florans sur un tracteur et le chic ibérique où toute la bonne société se retrouve sous les tentes du restaurant avant le rituel musical.
L’Espagne en tenue de soirée
De l’autre côté des Pyrénées, on met la voix et la scène à l’honneur. Une évocation en hommage à Victoria de los Angeles avec Teresa Berganza prélude à une création autour de Carmen, personnage dont les deux cantatrices catalanes ont livré des incarnations légendaires. Dans le cloître des Carmes baigné par la douceur nocturne, ce sont trois variations autour de l’histoire de l’héroïne de Mérimée, des Enfers à la conclusion d’un fait divers dans une chambre mortuaire en passant par un restaurant, comme autant de manières de revisiter l’opéra de Bizet, reliées entre elles par un ertarz de conférence où l’on retrouve les trois solistes parodiant les rivalités du drame en version universitaire. Alléchant sur le papier, le projet finit par décevoir au terme d’une heure et demie sans entracte, mais non sans ennui, inégale sur le fond comme sur la forme.
Le lendemain, le vaste auditorium du parc reçoit, sous les étoiles, un Juan Diego Florez ambassadeur du romantisme français, dans un récital avec l’Orchestre de Cadaquès. Cela ne l’empêche pas d’entonner un éclatant « Tombe de mes aïeux », l’air d’Edgardo dans Lucia de Lamermoor de Donizetti qu’il jouera sur la scène du Liceu de Barcelone cet automne. L’avantage de ce genre de programme est d’offrir aux chanteurs des pages que l’endurance d’une production lyrique leur interdirait, à l’image de Werther dont on goûte ici une luminosité légère inhabituelle. Le ténor péruvien n’en récolte pas moins un triomphe : nul public ne saurait résister à son charme latin.
Coup de jeune à La Roque
Au pied du Lubéron, La Roque d’Anthéron reste l’incontournable Mecque du piano. Pour autant, le concert du 15 août, consacré, selon une tradition désormais établie, aux ensembles en résidence ne se limite pas au seul clavier. Sous les platanes rafraichis par le vent du soir se succèdent pendant près de trois heures les formations qui se sont perfectionnés auprès de maîtres tels Claire Désert, le Trio Wanderer ou Emmanuel Strosser. Avec une dizaine de minutes pour chacun, les œuvres se réduisent souvent à un ou deux mouvements.
On pourra malgré entendre en entier la Sonate pour violon et piano de Janacek, sous les doigts inspirés de Virgile Boutellis-Taft et Antoine de Grolée, ou, en seconde partie de soirée, se laisser porter par trois des quatre mouvements de la Sonate pour violoncelle et piano de Chostakovitch dans laquelle la vigueur extravertie de Noé Natorp et le piano plus intérieur de Jean-Baptiste Doulcet se complètent admirablement. Et que dire des sept violoncelles sous la houlette de Roland Pidoux entonnant la transcription du Lascia ch’io pianga de Haendel ou du chœur à bouche fermée de Madame Butterfly, alors que la soirée se terminera sur un ébouriffant Grand galop de Lavignac pour huit mains… sur un seul clavier !
Le lendemain dimanche, c’est double-bill, avec à 18 heures le talent plus que prometteur de Yuri Favorin dans un récital tout Chopin, qui se conclut, en bis, sur une extraordinaire page d’Alkan – le début de sa Grande Sonate dite « des Ages de la vie » – où la virtuosité le dispute à la sensibilité, avant un Szymanowski d’une remarquable délicatesse. Avec la tombée de la nuit, c’est David Kadouch à 21 heures qui nous emmène dans un voyage placé sous le signe de la nature – et qui sera enregistré pour début janvier 2016. Entre romantisme et expressionnisme, Sous les brumes baigne dans des fascinantes demi-teintes, tandis qu’En plein air de Bartok, mélange incomparable de rythmes et de sève mélodique, confirme l’intelligence du soliste français, avec une Musiques nocturnes d’une poésie rêveuse et éthérée. Assurément la Roque tend l’oreille à la relève !
Enfin le plein air n’a pas l’exclusivité des concerts estivaux, et c’est dans la blancheur immaculée de Saint-Michel de Cuxa que le festival de Prades donne, chaque année rendez-vous aux fidèles de la musique de chambre venus retrouver Michel Lethiec et ses amis toujours plus nombreux. Pour son soixante-cinquième anniversaire, le refuge de Pau Casals fuyant le franquisme aux pieds de la Cerdagne, conjugue plus que jamais verdure et musique, où le rituel du concert ne se limite pas à la grand-messe du soir, à l’image des valses de Strauss transcrites par Schöenberg, Berg et Webern à 17 heures au Casino du Vernet le 4 août. En été, les plaisirs du mélomane se goûtent ici aussi en journée…