Pour la dernière production lyrique de ses huit années de mandat, Jérôme Deschamps a concocté un véritable feu d’artifice, musical autant que comique, réglé par ses soins. En ressuscitant Les Mousquetaires au convent de Louis Varney, il présente à son public un avatar exemplaire du genre bouffe, parachevant sa mission de réveiller un répertoire français laissé en sommeil ces dernières décennies. D’un anticléricalisme délicieusement irrévérencieux, le livret de Paul Ferrier et Jules Prével, remis au goût du jour par le metteur en scène, nous plonge au cœur du règne de Louis XIII et de son atmosphère de complots, dont la fortune littéraire doit beaucoup à Alexandre Dumas : Gontran de Solanges aime Marie de Pontcourlay, à qui il ne semble pas indifférente, mais que son oncle, hélas, le gouverneur de Touraine – joué par Jérôme Deschamps lui-même – prédestine au voile. Le passage de deux moines venus de Palestine va donner l’idée au jeune homme et son ami, Narcisse de Brissac, pour s’introduire chez les religieuses, et enlever la dulcinée.
Jésus en pause déjeuner
Rythmé, coloré et nourri de douces extravagances – les décors de Laurent Peduzzi et les costumes de Vanessa Sannino y donnent leur juste part – le spectacle emprunte sans complexe au patrimoine comique français, en particulier cinématographique. Ici Louis De Funès, le gendarme et la bonne sœur, là Etienne Chatiliez et la kermesse des Le Quesnoy saluant en chœur le retour du Messie, ou même le gouverneur saluant Justin Bredaine en se réjouissant qu’il soit occupé à autre chose que de charcuterie : on ne s’embarrasse pas, ici, de hiérarchie dans le bon goût. Les zygomatiques ne s’en plaindront pas, et le deuxième acte est, à cet égard, un inénarrable sommet, avec le Christ sautant de sa croix pour sa pause déjeuner. Dans le plus esprit de l’opérette satirique, les clins d’œil à l’actualité ne manquent pas– la liturgie appelant le latin qu’il faudrait supprimer, ou les pèlerins qui dissimulaient en réalité de dangereux terroristes.
Des voix au diapason comique
Les oreilles se régalent tout autant, avec une partition qui n’ignore pas Offenbach bien sûr, jusqu’à le pasticher sinon le citer parfois, et qui parodie tout aussi génialement la musique religieuse – l’arrivée des frères en pèlerinage s’amuse des accents sulpiciens de l’homophonie grégorienne, ce que Mathieu Marinach et Antoine Jomin, membres des Cris de Paris, restituent de manière inimitable. A la tête de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon, Laurent Campellone détaille la vitalité gourmande de cette musique, et il peut compter sur un plateau au français impeccable pour la relayer. En Gontran de Solanges confit d’amour, Sébastien Guèze a trouvé un rôle sur-mesure pour l’éclat de sa voix, qui forme avec le Narcisse de Brissac incarné par Marc Canturri une paire des plus réjouissantes. De gouaille, Franck Leguérinel n’en manque pas en abbé Bredaine, ni d’ailleurs Anne-Catherine Gillet en Simone. Impossible de résister à « la fouine du couvent », Louise de Pontcourlay, illuminée par la piquante Antoinette Dennefeld, au talent théâtral égal à une voix plus que prometteuse, tandis que sa sœur Marie fait entendre le babil léger d’Anne-Marine Suire, soliste de l’Académie de l’Opéra Comique. Quant à Doris Lamprecht, elle se montre impayable en sœur Opportune pincée, sans oublier la désopilante mère supérieure de Nicole Monestier. Autant dire qu’en ces temps de totalitarisme bien-pensant, Jérôme Deschamps offre un remède des plus recommandables, ce que sans doute Mathieu Gallet, chemise blanche estivale, accompagné d’une autre chemise blanche d’à peine plus de la moitié de son âge, était venu chercher en ce soir de première qui se terminait par un verre de Sauternes pour les happy few…
Par Gilles Charlassier
Les Mousquetaires au couvent, Opéra Comique, jusqu’au 23 juin 2015