Pour les journées européennes de l’opéra, qui se tiennent, usuellement autour du 8 mai, le Teatro Real a choisi cette année de proposer un des plus grands classiques du répertoire, La Traviata de Verdi. C’est la production que David McVicar a réalisée pour Cardiff en 2012, avant de tourner à Genève, que Joan Matabosch a importé sur la scène madrilène. Dans des décors irréductiblement noirs, ponctués de rideaux de même couleur, la lecture proposée demeure d’un consensualisme bon teint, sans faute d’interprétation, et respectant scrupuleusement la division en trois actes. D’une direction d’acteurs reprise de manière parfois un peu schématique se détache le numéro enlevé de Piquillo, dont la belle se révèle être un travesti.
Mais c’est d’abord pour le plateau que vaut cette Traviata, et au premier rang, la Violetta de Venera Gimadieva. La jeune soprano russe, en troupe au Bolshoï et révélée au public limousin et rémois en 2012, deux ans avant les parisiens, se confirme comme l’une des plus brillantes étoiles montantes, avec une beauté vocale qui le dispute à la physique. Le « Sempre libera » révèle sa légèreté et son agilité, tandis qu’elle ne sacrifie jamais une sensibilité qui éclate de manière évidente au troisième acte, seule et malade sur son lit. Equilibrée et maîtrisée, l’incarnation de l’une des meilleures Traviata de la nouvelle génération aurait peut-être gagné à un approfondissement scénographique, difficile sans doute à obtenir dans l’alternance des distributions – où la courtisane revient à Ermonela Jaho et Irina Lungu.
Gimadieva-Nucci, un face-à-face au sommet
L’autre soliste très attendu de la soirée est le Germont de Leo Nucci. Ne reculant pas devant les ans, le baryton septuagénaire impressionne par sa présence autant que sa solidité. Appuyé sur une canne pour rendre visite à mademoiselle Valéry, le père d’Alfredo démontre une sévérité qui s’adoucit au fur et à mesure. Si le soliste, à l’instar de ses partenaires, n’est guère soutenu dans son jeu, toute l’intensité des émotions et du discours passe dans la voix et une justesse admirable dans l’intonation et les nuances : assurément du grand art, que le public ne manque pas d’applaudir. En comparaison l’Alfredo de Teodro Ilincai séduit par sa juvénilité et sa vitalité, même s’il se montre parfois plus gauche que ne l’exige le livret.
Les comprimarii, venant essentiellement de la péninsule ibérique, complètent honnêtement le tableau : la Flora de Marifé Nogales, Marta Ubieta en Annina, ou côté messieurs, le Gastone d’Albert Casals, le baron de César San Martín, le marquis de Damián del Castillo ou encore Fernando Rado en docteur Grenvil, sans oublier les chœurs, préparés par Andrés Máspero. Débordante d’énergie, la direction de Renato Palumbo ne ménage pas l’expressivité, au risque de la subtilité, plus d’une fois malmenée.
Par Gilles Charlassier
La Traviata, Madrid, jusqu’au 9 mai 2015
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