Un saut de 2500 miles à l’ouest rentable au moins du point de vue de la température, avec un gain de près de trente degrés – et une perte de quarante au retour. Dans le cadre de sa Figaro Trilogy autour de la figure de Beaumarchais, cœur de sa saison où seront joués Le Barbier de Séville et Les Noces de Figaro, le Los Angeles Opera redonne des habits scéniques à The Ghosts of Versailles, création que le Met avait commandée à John Corigliano pour le centenaire de la maison new-yorkaise, en 1983 – et finalement donnée seulement huit ans plus tard avec une pléiade de stars – qui arrive enfin sur la côte pacifique après avoir tourné sur le continent comme un disque.
Le livret de William M. Hoffman plonge dans un Versailles fantaisiste post-mortem hanté par les fantômes de la cour auxquels se mêlent les personnages de Beaumarchais, sous le regard bienveillant de l’auteur, et de la reine Marie-Antoinette, que seul le dramaturge parvient à distraire de sa mélancolie et qui essaiera de changer le cours sanglant de l’Histoire, emmenée par la vengeance révolutionnaire de Bégearss, véritable Méphistophélès du drame. La partition offre un véritable patchwork entre pastiche et parodie avec une virtuosité, où l’on reconnaît des thèmes mozartiens ou rossiniens, qui contraste efficacement avec le modernisme au grisâtre presqu’obligé du commentaire contemporain : indéniablement la réécriture du passé se révèle nettement supérieure à un présent où orchestre et voix demeurent comme étrangers l’un à l’autre.
Une réécriture colorée de l’Histoire
De ce séduisant matériau musical, Darko Tresjnak a tiré un spectacle haut-en-couleurs, en costumes d’époque esprit couture, avec une réception à l’ambassade turque aux allures de bonbonnière Disney dans laquelle ne manquent ni éléphants rose fuschia, ni acrobates à turbans. Le départ des héros de fiction à bord d’une montgolfière distille une émotion un peu sucrée, à l’image des décors d’Alexander Dodge, tout en offrant une conclusion brillante à un spectacle qui ne se limite pas à un exercice de style.
Côté voix, Patrice Racette investit dans l’expressivité ce que la beauté du grain n’a plus pour Marie-Antoinette, tandis que Christopher Maltman affirme une présence et une humanité certaines en Beaumarchais. De la galerie de personnages très fournie, on se souviendra du paternel Louis XVI de Kristinn Sigmundsson. Lucas Meachem se montre généreux en fanfaronnades pour un Figaro volubile et théâtral. Patti LuPone fait une aérienne chanteuse égyptienne, tandis que Robert Brubaker possède plus que la noirceur attendue de la part de Bégearss. Quant à la partie orchestrale, James Conlon la dirige avec une conviction communicative. Mentionnons pour finir les concerts et rencontres disséminés dans la ville de Los Angeles, contrepoint d’un mini-festival thématique à haute charge symbolique.
Par Gilles Charlassier
The Ghosts of Versailles, Los Angeles Opera, février 2015 – Figaro Trilogy, jusqu’en avril 2015