L’hiver a occupé le devant de la scène, jusqu’à celle du Met, qui le 26 janvier dernier, a annulé la première de Iolanta à cause de la tempête du siècle Juno qui devait ensevelir New York où le maire Bill de Blasio avait interdit toute circulation, à titre un peu trop préventif… L’ultime opéra de Tchaïkovski, créé le même soir que Casse-Noisette vient de faire son entrée au répertoire du plus grand théâtre lyrique américain, avec Anna Netrebko dans le rôle-titre. Sans doute fallait-il la célébrité de la diva russe pour remplir les 3800 places de la salle du Lincoln Center…
Pourtant cette histoire de la fille aveugle du roi René recèle des passages d’une éblouissante beauté, des chœurs de femmes qui bordent le sommeil de la jeune femme maintenue dans l’ignorance de son handicap au duo d’amour avec Vaudémont palpitant de passion, où Piotr Beczala se montre d’une sensibilité sans pareil – et le mezza voce à la fin de son air fond délicieusement, comme suspendu au-dessus du silence, avant un applaudimètre bien mérité. D’autant que l’on pourra préférer la sincérité sinon le naturel du ténor polonais à la coquetterie parfois affectée de la brune soprano.
Iolanta, un duo au sommet
Sans doute également la production de Mariusz Trelinski, le directeur de l’Opéra national de Varsovie et premier polonais à mettre en scène au Met, plus illustrative que poétique, n’a pas la profonde poésie de celle que Peter Sellars avait réglée à Madrid et qui sera reprise à Aix cet été. Aux projections vidéo de biches et cornes de cerf sur les murs de la chambre, le spectateur comprend que l’on est perdu au cœur de la forêt, celle-là même où se dissimule le Château de Barbe-bleue. Au moins l’habileté et la cohérence de la scénographie, qui relie Tchaïkovski à Bartók fonctionne-t-elle d’un point de vue dramatique, à défaut d’une véritable parenté musicale.
Si l’opéra du compositeur hongrois n’en est pas à ses premiers pas au Metropolitan Opera, c’est cependant la première fois qu’il est donné dans sa langue originale, avec la puissance dramatique de la Judith de Nadja Michael, aux côtés du non moins solide Barbe-Bleue de Mikhail Petrenko. Prenant le relais de Valery Gergiev, Pavel Smelkov fait retentir les couleurs slaves de la soirée, et la force expressive de la modernité bartokienne.
Comme à Paris
Autre entrée au répertoire du Met, La Donna del lago de Rossini, que les Parisiens avaient découvert en 2010. Les représentations new yorkaises reprennent d’ailleurs presque entièrement la même distribution, dominée par Joyce di Donato dans le rôle-titre. La voix de la mezzo américaine, dont la consistance a mûri, y brille avec autant de musicalité que de virtuosité. Juan Diego Florez, en roi d’Ecosse magnanime déguisé en humble Umberto, ne lui cède en rien, et se montre à la hauteur de sa réputation. Ample Malcolm mieux servi par la partition que par son costume, Daniela Barcellona fait vibrer une noble expressivité. Ancien lauréat du Lindemann Young Artist Development Program, John Osborn endosse le vêtement de Rodrigo dévolu à Colin Lee sous les ors de Garnier, qu’il fait résonner avec une belle vigueur – l’oreille remarquera l’évolution d’un matériau vocal que l’on avait découvert à Bastille dans La Juive.
Le festin de gosiers ne passe cependant guère la scène, réglée de manière très décorative, voire plate, par Paul Curran. Nul n’échappera aux costumes guerriers vaguement historicisant très premier degré, et le décor semble gaspiller le vaste espace dont il dispose. Quant à la direction de Michele Mariotti, elle remplit son office, au service d’une œuvre non dénuée d’inventivité, sans pour autant se hisser au niveau des plus grandes réussites du cygne de Pesaro.
Jusque chez Mozart
Le séjour new-yorkais du Melomaner s’achevait par la reprise du Don Giovanni réglé par Michael Grandage : à défaut de proposer une lecture novatrice, le dispositif circulaire de fenêtres aux linges et senteurs plus ou moins sévillans se montre pour le moins efficace et télégénique – qualités premières pour prétendre au succès des retransmissions d’un continent à l’autre. Peter Mattei reste le titulaire quasi insubmersible du rôle – sa sérénade demeure une merveille d’insinuation séductrice, quand bien même la direction d’acteurs ne cultive que modérément la complexité un rien perverse du personnage. Le reste du plateau ne démérite pas avec le Leporello de Luca Pisaroni, le Dmitry Korchak clair quoique plus à l’aise dans le belcanto ou encore l’Anna d’Elsa van den Heever, sans oublier la direction très symphonique d’Alan Gilbert, directeur musical du New York Philharmonic – en résidence à l’Avery Fisher Hall voisin qui portera désormais le nom de David Geffen, qui a déboursé plus de 90 millions d’euros pour la restauration de la salle.
Gilles Charlassier
Iolanta/Château de Barbe-bleue – La Donna del lago – Don Giovanni, Metropolitan Opera, New York, février-mars 2015