Bob Wilson a-t-il commis un crime de lèse majesté ? C’est ce que l’on pourrait penser à l’écoute des applaudissements forcés qu’ont réservé les spectateurs du Théâtre de l’Odéon à la pièce de Jean Genet Les Nègres. En s’attaquant à une pièce qu’il ne connaissait pas, Bob Wilson a du se sentir absolument libre pour produire un spectacle décapant; les dorures de l’Odéon- qui en ont vu d’autres- ont quelque peu souffert…
Dans un décor aux allures d’un défilé Thierry Mugler, strié de néons roses et verts, une troupe de comédiens noirs interprète une pièce de théâtre pour un public noir déguisé en « blanc ». La construction dramatique est vertigineuse, avec à cette double mise en abyme, la pièce dans la pièce et les déguisements de couleurs, une troisième qui surgit lorsque les comédiens jouent le meurtre d’une femme blanche par des hommes noirs.
Bob Wilson s’empare de ce moteur dramatique pour créer un spectacle extrêmement rythmé, où cris, jazz et twists s’enchevêtrent sur scène pendant deux heures. Le metteur en scène crée notamment une série de personnages énigmatiques et exubérants particulièrement réussis, les blancs perchés sur leur estrade restant confis dans la préciosité de classe, tandis que les noirs nourrissent une colère sourde mais prête à jaillir à tout moment au visage de cette aristocratie de fin de règne.
Un thème toujours aussi moderne
Cette vision de la pièce n’est pourtant ni vaine ni anachronique; les indications données par Jean Genet accordaient en effet une grande liberté dans la mise en scène, en se concentrant surtout sur les rapports dominés/dominants. Or par leur rythme et leur justesse, les comédiens réussissent brillamment à faire ressortir cette violence sourde, cette tension latente et ces jeux de domination. Bob Wilson a conservé au coeur de la pièce l’élément clef, le renversement des rôles, sur un thème qui semble toujours autant d’actualité. Ecrite dans une France en plein décolonisation, la pièce se donnait ce soir-là devant un public majoritairement blanc…
Par Florent Detroy
Les Nègres, de Jean Genet au Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 21 novembre, à 20h