Qu’est ce qui peut arriver de pire lorsque l’on a un nid douillet, une femme dans la peau et un vélo chromé ? Être envoyé faire la guerre en Algérie. Trois jeunes zigs et leur metteur en scène Jean-Jacques Mateu ont décidé de reprendre le texte de Georges Perec Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? datant de 1966. L’auteur raconte l’épopée de trois amis du Montparnasse des années 1950-1960, décidés à aider une de leur vague connaissance, un certain Karatruc voire Karawash, à ne pas partir en Algérie.
Le texte est d’abord jouissif par son invention et son audace; la syntaxe est malaxée dans un méli melo d’argot parisien et d’oulipo, avec un vocabulaire long comme un « Paris-Alger en bi-moteur », le tout truffé de références littéraires, Miller, Martin du Gard, Hegel.
Un bon texte mais également une belle performance des trois acteurs, « pékins philosophes » à la petite semaine: en veste bleue pâle boutonnée jusqu’au cou, chaussures cirées et arborant des moustaches de circonstance, « ces dignes successeurs d’Ajax et d’Achille, du capitaine Nemo et de Saint-Exupery… » sont simplement exceptionnels. Par leur maitrise du texte d’abord- pas un mot sans que le Paris des années 1960, les vélomoteurs et les uniformes kakis ne raisonnent. Ensuite par leur jeu. Précis, juste, les trois clampins érudits rivalisent d’application dans la loufoquerie et d’aplomb dans l’absurde.
La performance est d’autant plus belle qu’ils laissent intact le portrait que fait Pérec d’une époque difficile, minée par la guerre d’Algérie. Aider leur ami revient à risquer les 90 jours de cachot pour lui et des ennuis avec les policiers pour eux. La modernité du texte tient aussi dans le choix du héros, un sans grade, homme du peuple qui ne veut pas se battre pour le drapeau. Universel en somme…
Par Florent Detroy
Quel petit vélo…? au Théatre Les Hauts plateaux -La manutention, 4 rue des escaliers Sainte Anne, du 5 au 27 juillet à 22h45
Réservation : 07 89 30 85 62