Si l’on jette un œil sur les confins de la géographie franco-suisse, on reconnaît, entre Lyon et Genève, une région plus souvent associée aux sports d’hiver qu’à la musique : la Savoie. Et pourtant, l’immense violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch avait ses quartiers à Evian. Alors que l’activité de concerts avait décliné depuis le début des années 2000, la résidence à la Grange au Lac, pour la seconde saison, une des plus beaux écrins dédiés à l’art musical, de l’Orchestre des Pays de Savoie, qui célèbre cette année son trentième anniversaire, vient de redonner au lieu une nouvelle impulsion. Venu à Paris présenter la prochaine saison fêtant ce jubilé, Nicolas Chalvin, son directeur musical depuis 2009 qui a reçu l’enseignement d’Armin Jordan –le père de Philippe, directeur musical de l’Opéra Bastille – a accepté, à cette occasion, d’évoquer avec nous son parcours et ses projets.
Pouvez-vous nous résumer l’identité singulière de l’Orchestre des Pays de Savoie ?
Comme vous le rappelez, la Savoie est située entre les deux métropoles que sont Genève et Lyon. Quand l’orchestre a été créé en 1984, l’idée était de combler ce relatif vide en termes d’offre musicale dans une région pourtant dynamique. C’est ainsi que les deux départements de la Savoie se sont associés pour soutenir ce nouvel orchestre. A l’inverse des grandes formations voisines, il s’agit d’un orchestre de chambre, essentiellement composé de cordes (dix-neuf, plus deux hautbois et deux cors). C’est d’ailleurs le seul orchestre de chambre de la région Rhône-Alpes, les deux phalanges lyonnaises étant symphoniques. Du coup, le répertoire que l’on joue n’est pas le même que celui de l’Orchestre national de Lyon ou celui de la Suisse romande. Ce n’est pas notre vocation que de faire les symphonies de Mahler ou Bruckner. Nous ne sommes pas en concurrence, mais plutôt complémentaires.
Comment fonctionne l’orchestre ?
Les membres permanents sont presque tous des instrumentistes à cordes, nous faisons ainsi évidemment appel à des surnuméraires pour les pupitres non pourvus, ce qui permet d’élargir notre répertoire, sans pour autant renier notre identité « chambriste ». On travaille en particulier avec les Chœur et Solistes de Lyon-Bernard Têtu, l’Orchestre de chambre de Genève et la Haute Ecole de musique de Genève. En termes de budget, l’équilibre se situe à 70% de subventions et 30 de recettes propres. L’Assemblée des Pays de Savoie donne 800 000 euros, l’Etat 400 000 et la Région 200 000. Pour ce qui est de l’activité, on donne 90 concerts par an, dans toute la région, et au-delà bien entendu.
De quelle manière l’orchestre joue-t-il un rôle de diffusion de la musique sur le territoire savoyard ?
Si notre résidence à la Grange au Lac joue un rôle essentiel dans notre visibilité à l’international, le cœur de notre travail se situe en effet dans les deux départements de Savoie. C’est tout un travail de tissage de liens avec les différents villes et directeurs de salle, puisque notre orchestre est par nature nomade. On adapte notre programme en fonction des contraintes de coûts et de taille de la scène, mais nous ne nous cantonnons pas à Annecy, Chambéry et Evian. Outre qu’ils permettent d’amener à la musique classique des publics nouveaux, les concerts « découverte » sont tout à fait adaptés à ce format plus réduit, comme celui que nous donnerons en mai 2015 à Gaillard, Machilly et Taninges, avec une grosse cloche pour le Cantus in memoriam Benjamin Britten de Pärt. Nous sommes par ailleurs présents dans les grands festivals de la région, la Côte Saint-André, les nuits romantiques du Bourget…
Vous êtes hautboïste de formation et avez appris la direction avec Armin Jordan. Quels sont pour vous les qualités d’un bon chef d’orchestre?
C’est en effet Armin Jordan qui un jour m’a encouragé à prendre la baguette. Pour lui, un chef d’orchestre fait de la musique avec ses musiciens, et non au-dessus de lui. Il y a un là certain rapport de suggestion plus que de domination. Un bon chef doit savoir diriger aussi bien un orchestre de chambre, qu’un symphonique ou dans la fosse d’un opéra. Et cette polyvalence à vrai dire s’apprend un peu « sur le tas ». On se forme en regardant les autres diriger, en étant assistant d’un grand chef. D’ailleurs si je dirige ici un orchestre de chambre, on ne s’interdit pas de nourrir des projets dans le domaine lyrique par exemple.
C’est le trentième anniversaire de l’Orchestre des pays de Savoie. Quels en seront les temps forts ?
Deux grands évènements vont ponctuer cette saison un peu particulière. Les 12 et 13 octobre prochains à la Grange au Lac, Jean-François Zygel viendra animer des ateliers d’improvisation et diriger le Nannerl Septet de Mozart, petit concert commenté avec des improvisations au piano avant celui que je dirigerai, que nous avons intitulé « Amérique Belle Epoque », où nous jouerons des œuvres de Bernstein, Copland face à Milhaud et Ravel, dont Hervé Billaut, qui nous est fidèle depuis plusieurs années, interprétera le Concerto en sol. L’autre point d’orgue aura lieu à Chambéry à la fin du mois de mai 2015, avec un concert bande dessinée autour des Bidochons et de leur créateur, Christian Binet, avant un concert surprise pour refermer cette saison anniversaire. Comme vous le voyez, le côté festif et l’ouverture à un large public vont de pair. Il y aura aussi des clins d’œil pendant l’année comme cette soirée millésime où nous donnerons la Trentième Symphonie de Haydn avant celle de Mozart, qui sont curieusement moins connues que d’autres opus voisins.
Et plus proche de nous, un concert à Gaveau où Sophie Karthauser et Cédric Tiberghien interprètent l’air de concert de Mozart pour soprano et piano Ch’io mi scordi, qui sera repris le 27 juin à Vichy.
Autant d’occasion de découvrir cet orchestre pour les parisiens…