Célébrations obligent – Rameau est mort il y a tout juste deux cent cinquante ans – le compositeur français est à l’honneur cette saison. Fable bouffonne créée en 1745 pour le mariage du Dauphin Louis-Ferdinand (fils de Louis XV donc) avec l’Infante d’Espagne Marie-Thérèse, remarquée pour sa singulière laideur, Platée devient avec Robert Carsen – et son incontournable dramaturge Ian Burton – une satire des mirages du monde de la mode. La nymphe des marais devient ainsi une nymphomane toujours aussi certaine de son irrésistible attrait, et Jupiter, son amant d’une cérémonie factice, un sosie de Karl Lagerfeld.
La face cachée de Chanel
A la profusion fantaisiste de l’œuvre que Laurent Pelly avait très bien mis en valeur à Garnier , Robert Carsen préfère une adaptation cohérente et « réaliste », transformant ainsi les vents tempétueux au début du premier acte en pique-assiettes envahissant le bar avant le défilé. Dans cet Olympe haute-couture, habitants des ondes et des nuées portent caleçons et guêpières et entre figurants et danseurs – a défaut d’être inspirée, la chorégraphie de Nicolas Paul se révèle au moins virtuose –, il y en a pour tous les goûts – même si les masculins sont peut-être légèrement surreprésentés. Des métamorphoses du roi des dieux au deuxième acte, on peut avoir plus d’appétence pour les hommes en costumes couleurs azur et nuages que pour leurs collègues en cuir censés figurer hiboux et ânes et qui semblent égarés d’un mauvais porno.
Dans le rôle-titre, Marcel Beekman excelle surtout, avec un français honorable, dans la caricature de la mythomane, laissant les doutes et l’humiliation pour le suicide final avec la flèche de Cupidon. Si le Jupiter d’Edwin Crossley-Mercer sonne un peu forcé, la composition comique de Marc Mauillon fait mouche jusque dans ses outrances, tandis que Cyril Auvity se distingue par son timbre clair appréciable tant en Thespis que Mercure. Folie extravagante, Simone Kermes ne s’embarrasse pas du style pour faire résonner son colorature aussi exubérant qu’insolent. Quant à sage Junon d’ Emilie Renard, elle ne peut faire oublier l’hystérie qu’y instillait une Doris Lamprecht. Malade, William Christie a laissé les rênes de ses Arts Florissants à Paul Agnew, qui les a déjà dirigés à plusieurs reprises. Un beau son et une battue appliquée ne suffissent pas cependant à faire sortir cette Platée des vanités ténébreuses de Chanel – qui a fourni les sacs – et de Clarins – pour les massages…
Par Gilles Charlassier
Platée, Opéra Comique, du 20 au 30 mars 2014.