12 janvier 2014
Delphine de Vigan/ Coup double

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On l’a quittée, il y a deux ans, grave et ô combien touchante, avec ses romans rendant compte de la violence du monde du travail ou de la vie tout court. Le succès, l’envie de ne pas devenir « la spécialiste du drame familial », Delphine de Vigan voulait souffler. Ecrit avant la sortie de ce livre hommage à sa mère devenu un best-seller, Rien ne s’oppose à la nuit, son premier film A coup sûr est donc une comédie dans laquelle se retrouve sa perception fine de « l’humain » servie par des dialogues ciselés. Une invitation à  suivre une jeune femme soumise au culte de l’excellence, jusque sous la couette et de pouvoir rire sans céder à la facilité, celle-ci n’étant pas le genre de la maison. Il ne faut ainsi pas se fier à la silhouette frêle de cette jolie blonde. Delphine de Vigan, sur un plateau comme devant la page blanche, aspire au meilleur comme ses acteurs, Eric Elmosino en tête, ont pu, pendant le tournage, s’en rendre compte. A voir le résultat, on sait qu’ils ont eu raison de lui faire confiance, avec une belle évidence pourtant si difficile à obtenir lorsque l’on s’ attaque au registre comique. Il faut dire qu’avec son producteur Gilles Legrand, elle avait été à bonne école sur le précédent très beau film Tu seras mon fils, apprenant à passer des mots à l’image. Désormais seule à bord et soumise à l’exercice promotionnel, c’est néanmoins sur « ses terres », dans un café à la décoration surannée du 11 ème arrondissement, bien loin des grands hôtels généralement plébiscités par les producteurs et distributeurs, qu’elle répond, attentionnée, à nos questions.

Comment vivez-vous cette période de surexposition?

A un moment il faut expliquer, raconter comment les idées sont arrivées, pourquoi on choisit un sujet plutôt qu’un autre. Cet exercice de promotion n’est d’ailleurs pas vraiment différent de celui pour la sortie d’un livre. Le contact avec le public est également très agréable, j’ai toujours pris beaucoup de plaisir en tant qu’auteur à rencontrer mes lecteurs, avec cette idée qu’un livre appartient ensuite à celui qui le lit. Pour le film,  on a déjà eu plusieurs projections publiques qui se sont très bien passées, avec deux salles très réactives. Il y a toutefois, si l’on reste dans la salle, un côté terrorisant. Jamais on ne regarde quelqu’ un en train de lire son livre; moi j’ en suis en tous les cas incapable, et les quelques fois où j’ai vu quelqu’un un lire mon livre dans le métro, j’ai changé de wagon ! En même temps, c’est très intéressant d’être avec le public,  sentir les silences ou quand l’ émotion monte. C’est également très agréable de voir une salle qui rit là où vous avez voulu que ce soit drôle.

Le film s’ouvre sur une première scène, assez grave,  qui semble fondatrice pour la suite du film…

Je tenais beaucoup à cette scène. Elle donne une clé de lecture pour le personnage et indique au spectateurs que l’on n’est pas dans une machine à gags. C’était important pour moi d’ avoir la liberté de commencer par là.

Vous sentez-vous plus fragile ou au contraire moins exposée du fait que ce film, contrairement à un roman, soit une oeuvre collective?

C’est vrai que j’ai aimé retrouver ce plaisir de faire à plusieurs comme je l’avais connu dans le passé en entreprise. L’écriture est une activité extraordinairement solitaire tandis que chacun apporte dans un film sa sensibilité,  son expérience. Reste qu’au final je pense que c’est le réalisateur qui, lui seul, porte la responsabilité du film; si la lumière n’est pas bonne, ce n’est pas la faute du chef opérateur, c’ est qu’ il a été mal choisi…Il faut savoir assumer,  pareil pour la direction des comédiens.

Pourquoi vous être intéressée à cette course à la performance? 

La dynamique de l’ entreprise a envahi la sphère privée. On parle de gérer son stress, ses enfants. Lorsque Laurence Arné dit : « Ça fait deux fois que j’ ai un feed back super décepif «  venant de ses amants, c’est pour moi typique de ce travers que  je suis la première à avoir d’ailleurs…

Cela a-t’il été difficile d’imposer une actrice assez peu connue et cependant excellente, Laurence Arné?

Non, pas vraiment. J’avais repéré Laurence dans un second rôle lorsque je commençais l’écriture du scénario et j’ai guetté ensuite toutes ses apparitions ! Elle a un formidable potentiel comique et en même temps, une fragilité, une forme de mélancolie, qui m’intéressaient. Je crois que les spectateurs ont envie de nouveaux visages et mes producteurs, qui l’avaient remarquée aussi, ont accepté sans difficulté.

Pourquoi l’écriture à quatre mains avec Chris Esquerre?

J’étais arrivée seule au bout d’une première version du scénario, et j’avais envie, pour aller plus loin, de trouver quelqu’un qui me renvoie la balle. La comédie est un exercice difficile et on gagne toujours à s’y mettre à plusieurs. J’aime beaucoup l’humour absurde, décalé de Chris. Quand il a été décidé que je réaliserai ce film moi-même, j’ai fait appel à lui pour aller plus loin. Nous avons passé beaucoup de temps dans les cafés à jouer au ping-pong sur les dialogues, à essayer de pousser les situations un peu plus loin.

Ecrivez-vous en ce moment?

L’exercice de la promotion est pour moi incompatible avec l’écriture. J’ai besoin de retrouver la solitude, de refaire le silence autour de moi. Cela ne saurait tarder !

Avez- vous peur de décevoir avec ce film après le succès de Rien ne s’oppose à la nuit?

Oui,  bien sûr.  J’ ai peur de ne pas être à la hauteur, ce qui revient au thème du film! Le succès apporte beaucoup de choses mais il est également intimidant. J’ai parfaitement conscience que le film peut surprendre, dérouter, qu’il mêle un peu les genres. Mais je suis allée au bout de ce que je voulais faire. Il y a trois ou quatre ans, personne n’attendait rien de moi;  cela laisse une grande liberté de ne pas être où l’ on vous attend. Aujourd’hui,  il y a un vrai travail à faire de mon côté pour mettre à distance tout cela. Ce film est pour moi une vraie chance car, après Rien ne s’oppose à la nuit, j’ aurais été incapable de me remettre à écrire.

Y-a-t’il aujourd’hui un livre en attente?

C’est vraiment le mot. Il m’attend ! J ai à la fois hâte et assez peur. Mais envie aussi de retrouver cette solitude après cette effervescence. Ce mouvement de balancier me va très bien. C’est très riche, défendre ce travail à plusieurs puis passer un an, deux ans à être derrière mon ordinateur sans aucune autre considération.

Vous êtes très disciplinée dans l’écriture?

Oui, en période d’écriture,  j’écris chaque matin  jusqu’à environ treize heures. Mes amis savent alors qu’ il ne faut pas m’appeler, je recrée ma bulle. Au delà de cinq, six heures d’affilée, c’est difficile de tenir plus, je ne connais pas d’ activités plus fatigantes, avec cet état de tension très particulier même si un tournage est également très fatigant. Chaque jour, je retravaille ce que j’ ai écrit la veille.

Verra- t’on un jour Rien ne s’oppose à la nuit sur grand écran?

On me l’a proposé mais je ne souhaite pas par égard pour ma famille à nouveau les exposer. Je leur ai déjà demandé beaucoup en faisant d’eux des personnages, l’écrivain Lionel Duroy dit cela très bien comment c’est difficile de se voir déformé à travers la loupe de l’ écriture. Quant à adapter mes livres moi-même, cela ne m’ intéresse pas: si j’ ai écrit un livre c’est en effet que je n’ai pas imaginé un film; je suis, du coup, la personne la moins bien placée pour décaler mon regard. Après, cela ne veut pas dire que films et livres ne se nourrissent pas entre eux.

Et ce livre à venir, de quoi sera-t’il fait?

Il sera très différent de ce que j’ai écrit jusqu’alors. Le pari est un peu risqué mais j’ aime ne pas être là où l’on m’ attend. Je ne tiens pas à rester dans une case avec une étiquette collée sur le front, comme on aime souvent le faire en France. Au risque de déplaire…

Ne pas chercher à plaire, voilà ce qui différencie les artistes de ceux que l’on peut associer aux marchands du temple. Ils sont si rares aujourd’hui que la chose est remarquable et mérite tout notre soutien…

 

Par Laetitia Monsacré

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