Avant de découvrir le très réussi film de Jalil Lespert sur Yves Saint Laurent ou la dernière petite merveille de Stephen Frears, Philomena, qui avait enflammé la Mostra de Venise, voilà deux films sortis pendant les fêtes que l’on imagine difficilement plus aux antipodes l’un de l’autre. Le premier, Le loup de Wall Street, est un film boursouflé d’argent et bavard, avec toutefois des fulgurances jubilatoires comme la scène d’entrée entre Leonardo Di Caprio et Mattew McConnaughey ou encore celle sur le yacht où Wolfie se fait l’avocat des riches face à un flic qui lui vit dans le monde réel, celui d’où l’on n’a, selon le trader, de cesse de vouloir échapper. A moins que comme Suzanne, dans le film éponyme, on accepte une vie « de peu », une vie que, vue de Wall Street, on juge forcément ratée. Dans les deux films, il est question de filiation, d’amour, de drogue et de prison. Et de chute. Mais là où Scorcese raconte avec pesanteur, multipliant les détails jusqu’à la nausée pour que le spectateur en ait pour son argent, sauvé heureusement par le jeu étincelant de ses acteurs et des dialogues qui font mouche, Katell Quillévéré a choisi lui l’art de l’ellipse.
De la démonstration à l’ellipse
Tout est ainsi suggéré dans son film, laissé en suspens. On appelle cela en langage cinéma le « sous texte », ce qu’un regard fera passer, un plan de coupe montrera plus qu’un long échange. Sara Forestier, François Damiens et la bouleversante Adèle Haenel excellent à ce jeu-là, montrant la vie loin des bobos, et des beaux quartiers. Dans ce cinéma-là, il n’y a plus de place pour le superficiel: on s’aime tragiquement, on passe cinq ans en tôle car on a cambriolé une maison tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, Leonardo Di Caprio qui a réduit à la pauvreté des milliers de hard workers en prend pour vingt mois dans une prison où il joue au tennis. La vie est ainsi faite; les vrais criminels restent libres mais à voir l’amour qui inonde Suzanne, on peut se demander si ce n’est pas elle qui, au final, gagne. D’amour, il est question aussi dans le film de Lars Von Trier dont on peut voir les affiches simulant l’orgasme dans la capitale. Lequel serait l’ingrédient magique du sexe selon ce Nymphomaniac qui risque de décevoir ceux qui, mal informés, croiraient venir voir un porno. De retour avec sa comédienne fétiche, Charlotte Gainsbourg, vous ne la verrez qu’habillée et pleine de cocards pour un dialogue-conférence avec l’homme qui l’a recueilli inanimée dans la rue. Un noir à l’écran pendant une minute pour commencer, du hard rock allemand, la pêche à la mouche, Uma Thurman en mère de famille trompée, la musique de Bach, l’inventaire est digne de Prévert pour raconter l’histoire de cette jeune femme qui ne pense « qu’à ça « et s’entend dire que « si l’on a des ailes, c’est pour voler ». La comédienne qui joue Charlotte jeune est d’une pureté angélique ce qui évite toute vulgarité et le réalisateur met tellement de cérébral dans son film que l’on est à peine choqué lorsqu’une dizaines de photos de sexes masculins défilent pendant la valse de Chostakovitch. Bref, du pur Lars von Trier qui en profite au passage pour parler de solitude, de « l’attente de la permission de mourir » et signe un premier volet qui captive assez pour avoir envie de voir le second. C’est le principal, non?
LM