C’est un bâtiment désaffecté à deux pas de la gare de Paddington, à quinze minutes de l’aéroport d’Heathrow grâce au coûteux Heathrow express –vingt pounds pour un peu plus d’une vingtaine de kilomètres, un modèle de rentabilité économique – que le National Theater et la compagnie Punchdrunk ont investi pour une adaptation du Woyzeck de Büchner version Hollywood avec une reconstitution des légendaires Temple Studios. Dégraissée de ses implications philosophiques originales, la fragmentaire pièce romantique se mue en drame de la jalousie poussée jusqu’à son paroxysme meurtrier, en déclinant l’infidélité féminine – ici Mary trompe William avec Dwayne – également dans son versant masculin – Wendy découvre son Marshall avec Dolores. Immergé dans les décors, le spectateur, dissimulé derrière un masque inconfortable, déambule d’une scène à l’autre au gré de sa curiosité, reconstituant ainsi lui-même les deux histoires entrecroisées, jusqu’au final, presque trois heures plus tard, où les destins se rejoignent dans leur issue tragique.
Entre cinéma muet et comédie musicale
Un peu comme dans une boîte déserte, on se demande d’abord ce que l’on est venu faire dans cette sorte de parc d’attraction glauque et désuet avec sa musique sirupeuse et menaçante censée susciter l’angoisse. Mais la virtuosité des numéros finit par convaincre et le spectacle gagne en intensité au fil de la soirée. Economes en paroles, le jeu d’acteur et les chorégraphies empruntent au cinéma muet comme à la comédie musicale, et n’exige pas une maîtrise sans reproche de la langue de Shakespeare pour comprendre. A en juger par la moyenne d’âge du public, ce jeu entre théâtre et réalité sous cette forme interactive et cinématographique s’oriente manifestement vers des spectateurs habitués à jongler avec les écrans, entre réel et virtuel. D’ailleurs, dans le café-concert au deuxième étage, les spectateurs se démasquent et se font consommateurs, sorte d’entracte flottant dans la machine à illusions. Toute cette jeunesse venue se divertir s’y retrouve d’ailleurs à la fin, histoire d’épuiser les pintes de la maison…
GL
The Drowning Man, National Theater, au 31 London Street, jusqu’au 31 décembre2013