Si le cinéma est un bonheur lorsqu’il divertit, c’est une pure jouissance que de se sentir plus intelligent en sortant de la salle qu’en y étant entré. Deauville dans sa case de l’Oncle Sam a permis au public français de découvrir de grands documentaires comme The September issue sur Vogue, Page one sur le New York Times ou encore l’an dernier, Into the Abyss de Werner Herzog. Cette année, quatre documentaires seulement dans la sélection deauvillaise dont deux offrent un vrai régal pour qui veut comprendre le monde dans lequel il vit; Inequality for all est une illustration brillante de la leçon d’économie faite à ses étudiants de Berkeley par Robert Reich, ministre du travail sous Clinton, personnage épatant à suivre dans sa démonstration édifiante: l’écart sans cesse grandissant entre les plus riches et les plus pauvres, laissant une classe moyenne exsangue. Ainsi en 1970, lorsque l’Américain moyen gagnait 48 000 $ par an, le plus riche était lui à 390 000 $; aujourd’hui, le revenu médian a diminué pour tomber à 33 000 $ tandis qu’il est de 1 100 000 $ pour le plus riche -soit trois fois plus! « 400 Américains ont plus que la moitié de la population des Etats-Unis » s’exclame ce génial économiste, petit par la taille mais immense par son analyse « vécue ». Car Robert va sur le terrain, rencontre les ouvriers et raconte comment il a cru pouvoir révolutionner les choses en arrivant au pouvoir. Faire machine arrière afin de redonner des salaires justes à la classe moyenne qui est avant tout celle qui fait tourner l’économie. Les riches? Ils dépensent trop peu et ne feront jamais tourner l’économie. « Je n’ai qu’une tête, je n’ai besoin que d’un oreiller » constate ce milliardaire américain qui vend des oreillers et des couettes à travers le monde entier, ajoutant que c’est un leurre absolu de croire que ce sont les entrepreneurs qui créent la croissance. Alors que s’est-il passé? Essentiellement le gel des salaires avec la chute des syndicats et l’arrivée des femmes sur le marché du travail -de la main d’oeuvre bon marché et nombreuse. Et l’envol de celui des chefs d’entreprise avec les stocks-options et l’arrivée des financiers ce qui a conduit en 2007 à exactement le même schéma qu’en 1929. Résultat, deux personnes avec un job aux Etats-Unis peuvent n’avoir que 50 euros sur leur compte courant et devoir habiter chez des amis après la crise des subprimes. Du coup, les recettes fiscales diminuent, l’éducation perd du terrain et le cercle vicieux est enclenché avec une paupérisation inouïe de gens qui pourtant travaillent tandis que les plus riches ne sont plus imposés qu’à 13 %… sachant que sous Roosevelt, ils l’étaient à 91%! « Qui l’aurait traité de communiste? » s’amuse Robert Reich qui conclut sur le danger des lobbies qui sont désormais capables de « s’acheter un président ». Bref, une heure et demie magistrale réalisée par Jacob Kornbluth qui devrait résonner de façon universelle avec cette idée que les Etats-Unis sont le miroir grossissant de l’Europe.
Combien tu vaux?
Autre bijou, Seduced and abandonned de James Toback est une pépite pour qui veut comprendre ce qui se cache derrière l’écran; non pas côté réalisation mais le nerf de la guerre, la production-l’argent. Ce réalisateur et le comédien Alec Baldwin ont eu l’idée à travers le festival de Cannes 2012 de se filmer en train de chercher le financement d’un remake du dernier Tango à Paris mais cette fois en Irak…U n scénario torride mais sans poursuite de voitures qui nécessite -allons !disons 15 millions de dollars. Patrons de studio, milliardaires, acteurs bankables, ils vont « taper » tout le monde en en profitant pour interviewer les grands de ce milieu-y compris réalisateurs mythique comme Coppola, Scorcese ou Bertolucci. Le constat est accablant: ce sont désormais les départements ventes à l’étranger et marketing qui décident des films produits tandis que les réalisateurs, même lorsqu’ils sont des géants, confirment que monter chacun de leur film est devenu un enfer. « J‘ai faillit ne jamais pouvoir faire Apocalypse now, personne n’en voulait » confirme Coppola qui ne fait même plus le déplacement à Cannes, écoeuré par ce gigantesque marché- cour des miracles où ceux-ci ont de moins en moins lieu… Quant à la sélection? « Des films que tout juste la famille du réalisateur pourra trouver bien » commente un des producteurs de blockbusters-loin du tapis rouge et du 7ème art. Bref, de quoi confirmer le caractère schizophrène du festival et découvrir ses coulisses mais aussi l’occasion d’un film jubilatoire sur la « grande famille du cinéma » avec au casting, Bérénice Bejo, Jessica Chastaing, Ryan Gosling et plein d’autres qui témoignent joliment de pourquoi et comment ils sont arrivés là, confirmant tous cette idée chère à Alec Baldwin que « lorsque les conditions sont toutes là, il n’y a rien de mieux que le cinéma « . A voir certains films, on est d’accord. Quant aux autres, il en faut pour tous les goûts n’est-ce pas?
AW