Lorsque Eileen Gray ouvrit sa galerie, elle la nomma Jean Désert. Un nom d’ homme inventé, afin que la boutique ai toutes ses chances… Nous étions en 1922 et pour la clientèle d’ aristocrates et autres financiers ou artistes, une femme galeriste, cela n’ aurait pas fait sérieux. Beaucoup de ses clients lui demandèrent d’ailleurs s’ils pouvaient rencontrer ce si discret Jean Desert… Elle y vendit des meubles, des tapis mais également des oeuvres en laque, ce matériau qu’elle avait découvert à Londres, et dont elle avait appris les secrets chez les artisans de Soho. Ce sont ces objets dont le fameux paravent en briques cuites et laquées qui ouvrent cette rétrospective dans les galeries du musée Pompidou, malheureusement trop aveugles pour rendre compte de la solarité de son oeuvre. Tables dont les écrous, invisibles, sont en ivoire, bols ou boîtes, chaque pièce fut unique, avec un souci du détail et un luxe dans ce qui ne se voit pas bien étranger à toute logique commerciale. Voilà pourquoi, alors qu’exposée dans tous les musées du monde, le MET à New York, les Arts Décoratifs à Paris , le Victoria et Albert Museum à Londres, elle était restée une parfaite inconnue, comme le rappelle son biographe et ami Peter Adam, dans un très bel ouvrage associant sa biographie et son oeuvre, paru aux Editions de la Différence.
Redécouverte par Yves Saint Laurent
Il aura ainsi fallu la vente à Drouot de la collection de Jacques Doucet, en 1972, pour qu’un jeune homme nommé Yves Saint Laurent s’ intéresse à un paravent. A 82 ans, ses meubles retrouvèrent alors une seconde vie avec en 2009 son fauteuil aux Dragons qui sera vendu lors de la succession Bergé-Saint Laurent, 22 millions d’ euros! Une chose dont elle aurait été horrifiée, « elle qui pestait sur le fait que l’ on allait classer certaines stations de métro ». Ainsi, « les honneurs n’ étaient pas plus pour elle, refusant d’ assister aux vernissages , par timidité » écrit Peter Adam, rappelant sa phrase préférée: « L’homme n’ est que ce qu’ il fait » de Flaubert. Voilà donc le fauteuil Bibendum en 1930, cette table d’ appoint, ces appliques porte-ampoules, à la simplicité désarmante. Car cette petite fille d’aristocrates irlandais, élevée dans l’opulence et la richesse avait une sainte horreur pour l’ ostentatoire et l’étalage des richesses. Son père n’avait-il pas transformé le beau manoir irlandais en hideuse maison victorienne? Alors pour fuir les artifices et le froid irlandais, c’est dans le Midi qu’elle réalisera des maisons, trois au total: la E1027 à Roquebrune, et sur les hauteurs de Menton Tempe a bailla– le temps de bâiller, dessinée entièrement seule, de quoi éviter que le Corbusier n’y réalise des fresques peintes sans l’en avertir comme dans la précédente. Puis près de Saint-Tropez, elle fera sa dernière maison, Lou Pérou. » Il ne faut pas demander aux artistes de n’être que de leur temps » disait-elle. Le sien, à en voir ses réalisations, semble bien éternel…
LM
Eileen Gray au Centre Pompidou jusqu’au 20 mai 2013