La soirée s’annonçait arrosée, avec l’intitulé Champagne for Gypsies ! On pouvait donc s’attendre à ce que l’alcool coule à flots ce 24 janvier dernier au Zénith, d’autant qu’en terme de biture l’organisateur de l’événement a une réputation qui le précède. Goran Bregovic, auquel on doit la bande originale de plusieurs films de Kusturika – dont le célèbre In The Deathcar chanté par Iggy Pop pour Arizona Dream – est en effet un noceur invétéré; d’où le nom de l’ensemble qui l’accompagne depuis 1997, l’Orchestre des Mariages et des Enterrements – qu’on voit rarement sur une scène de festival sans un bon verre de vodka, si ce n’est la bouteille de whisky ! Mais ce soir là, sans doute parce qu’il devait assurer trois heures de show dans une des plus grandes salles parisiennes, il est resté plutôt sobre et ne s’accorda qu’un seul verre, à la santé du public, pour la dernière chanson du concert. Cette soirée, du même nom que son dernier album, était l’occasion pour Bregovic d’éclairer d’une lumière bienveillante un peuple que partout ici on rejette, on stigmatise, on expulse. Alors, à ses côtés se sont succédé une ribambelle d’artistes, représentants plus ou moins célèbres du peuple gitan. Comme souvent lors de ses concerts, Bregovic stagne et se dandine sur son tabouret, gratouille un peu sa guitare, plaque quelques accords en contre-temps et envoie des boucles rythmiques depuis son ordinateur, tandis qu’à ses côtés les invités se relaient pour participer à la fête. Derrière lui, une section de cuivres, un quatuor à cordes, un chœur d’hommes bulgares et deux femmes en tenues traditionnelles assurent les sonorités balkaniques.
Champagne pour tout le monde !
Le ballet des invités s’ouvre sur une jeune chanteuse irlandaise, elle s’appelle Selina O’Leary et, comme les autres « guests » de cette soirée, elle est venue défendre les titres de l’album Champagne for Gypsies où elle a posé sa voix. Puis, c’est au tour du plus célèbre des chanteurs suisses de rappeler ses origines yéniches pour quatre chansons, dont trois nouveautés. Stéphane Eicher entre timidement en scène. Bregovic annonce un « vieux morceau » et les premiers accords de Déjeuner en paix retentissent, en acoustique. Le public hurle sa joie et, lorsque les premiers mots du refrain se font entendre – « elle prend son café en riant… » – il exulte ! Le chanteur helvète rejoint ensuite les coulisses et le public a à peine le temps de souffler qu’une troisième salve d’invités est annoncée. Arrivent alors les « gypsies les plus connus au monde » selon Bregovic, ceux dont une soirée en l’honneur de ce peuple n’aurait pu se dispenser, j’ai nommé les Gypsy Kings ! Le visage et la voix modelés par le temps, les quatre hommes prennent place et c’est parti pour Djobi djoba ! S’en suivront deux morceaux hors de leur répertoire, dont un Presidente vitaminé aux rythmes techno, et finiront par un autre classique, Bamboleo. Le public est conquis. Enfin, alors que la soirée était festive tout en restant très sage, trois membres du groupe new-yorkais Gogol Bordello sont venus dynamiter la scène. Ce groupe, comme son nom l’indique, ne fait pas dans la dentelle pour mettre l’ambiance… Et Eugène Hütz, le chanteur, avec sa voix éraillée et ses gesticulations anarchiques y est pour beaucoup ! Suite à leur prestation intense, dans le public, la moiteur des corps se fait sentir. Il reste une heure de concert, que Bregovic consacrera à la vaste étendue de son répertoire, seul avec son orchestre. Près de lui, le chanteur et percussionniste fait une prestation vocale superbe. On s’amuse beaucoup, sur scène comme dans le public qui, c’est le moins que l’on puisse dire, en a pour son argent ! Le récital se clôt sur un morceau tiré de la B.O. de Underground, le fameux Kalachnikov sans lequel un concert de Bregovic ne serait pas tout à fait réussi. Une chanson ironique sur l’amour des armes… On sort du Zénith revigorés, avec la certitude qu’une autre image des Roms est possible en dehors de celle que diffusent les médias et les politiques- celle qui ne les présente que comme un problème à résoudre. Ce soir là il n’y avait pas de problèmes, que des solutions, liquides et festives. Un bel exemple de respect, d’amour et de fraternité grâce à la musique. Merci Bregovic !
Par Romain Breton
Champagne for Gypsies, actuellement en tournée et en CD, chez Mercury, 22€.