L’ascension des escaliers montmartrois vous conduit à ce petit théâtre niché entre Lamarck et les Abbesses, qui abrite en ce moment la pensée transgressive du sulfureux Marquis. Nicolas Briançon, que l’on a pu voir en Volpone récemment s’attaque, après tant d’autres, au texte retors de Donatien Alfonse François Sade (1740-1814), retranché derrière les barreaux de sa geôle, où il passa le tiers de sa vie. Embastillé pour s’être adonné à salir des cadavres , ce grand aristocrate symbole de toutes les perversions et les débauches, dont les 100 jours de Sodome donna un aperçu des jeux sexuels. Reste que le Sade pervers polymorphe a laissé une œuvre derrière lui, 16 romans et 23 pièces de théâtre, bien plus empreints de génie que la doxa ne l’imagine de quoi prouver qu’il n’est pas seulement à l’origine de la pratique sexuelle, à laquelle il a donné son nom, « le sadisme ».
Ainsi, Pierre- Alain Leleu, en réécrivant les mots de l’écrivain et philosophe du 18ème, siècle du libertinage, tente-t’il de redonner sa force transgressive sur les planches avec une trame simple: après six années passées en cachot à Vincennes, Le Marquis de Sade est embastillé. Son nouveau maton du nom de Lossinote, devient son souffre-douleur, et l’occasion de trouver des patronymes saugrenus qui rappellent le pays des Lilliputiens. Les demandes aux geôliers feront sourire les spectateurs, allant d’un double oreiller à un flacon de parfum à des fins sodomites. Les lettres à sa femme, lues au public, prêtent également à rire, tant elles sont empreintes de « sadisme ». Mais c’est avant tout, un hommage et une tentative de réhabilitation du Marquis tant décrié qui est ici faite.
Un anarchiste avant l’heure
Symbole du courant libertin du XVIII ème siècle, Sade ne doit pas être vu uniquement comme un personnage dépravé. Le libertinage, c’est avant tout un idéal de liberté qui se répand dans la politique. Rappelons qu’il participe activement à la Révolution de 1789 au côté de Robespierre. Sur scène, cette aspiration à la liberté de penser et d’imaginer, la « reine imagination », chère à Baudelaire s’incarne dans le fantasme sadien qui naît sous l’œil du spectateur avide. Un corset bien rempli qui aguiche le spectateur, arboré par une séductrice « moitié Justine, moitié Juliette » qui va devenir son interlocutrice principale sur les planches, et le tremplin des réflexions philosophiques et religieuses qu’il livre à la salle. Provocation ? Sincérité ? Réelle perversion ou volonté de choquer le bourgeois ? D’où vient cette impression constante que Sade lui-même ne se prend pas tout à fait au sérieux ? Comme si la folie, son délire érotique (comme l’antisémitisme de Céline, comme la misanthropie de Léautaud, comme la fureur d’Antonin Artaud) était un exutoire à ses angoisses, à sa solitude, à sa lucidité.
Alors bien sûr, vous rirez parfois jaune, cernés par la musique pesante et anxiogène qui s’élève quand les lumières disparaissent; le vide du plateau, symbole de l’absence de compréhension de ses semblables et de l’abandon qu’il ressent et les lumières tamisées baignant les barreaux d’acier de son lit d’interné. Mais, comme le dit le Marquis: « sans doute, beaucoup de tous les écarts que tu vas voir peints te déplairont, on le sait, mais il s’en trouvera quelques-uns qui t’échaufferont au point de te coûter du foutre, et voilà tout ce qu’il nous faut « …
Par Elodie Terrassin
D.A.F Marquis de Sade au Ciné 13 théâtre jusqu’en mars 2013